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dans l’enseignement prophétique, loin des influences troublantes des vieux partis, des ambitions mondaines et de toutes les traditions politiques et politiciennes, pour produire enfin une nation une, absolument nouvelle et faite selon le cœur de Jéhovah et des prophètes. Alors Rachel qui pleure à Rama sur ses enfans, parce qu’ils ne sont plus, ne pleurera plus et sera consolée. Jéhovah les fera tous revenir de tous les pays où les a dispersés sa colère ; il les ramènera dans la terre-sainte. Et il fera avec la maison d’Israël et la maison de Juda un pacte nouveau, non plus comme celui qu’il fit avec leurs pères à la sortie d’Égypte et qu’ils ont rompu : car il mettra sa loi dans leur sein et l’écrira dans leur cœur, de sorte qu’il sera leur dieu et qu’ils seront son peuple. Et Jérusalem sera rebâtie et ne sera plus détruite.

Cette année même, Jérusalem et le temple étaient incendiés : le roi Sédécias avait les yeux arrachés devant Nabuchodnozor, après avoir vu ses fils égorgés sous ses yeux et de nouvelles files de déportés se dirigeaient à travers le désert vers les provinces de Babylonie (588).


VI

Parmi les déportés de la première heure se trouvait un homme formé à l’école de Jérémie, Ézéchiel. Il était prêtre comme Jérémie et plus que lui pénétré de l’idée sacerdotale ; non par préjugé de caste, mais parce que dans l’effondrement momentané de la nation, tout centre de ralliement matériel étant perdu, il fallait bien un signe visible de l’unité, un symbole de la nationalité future. Puisqu’on n’avait pu faire la nation sainte par l’état, il fallait bien la faire par le rite. Le développement sacerdotal sortit, comme une nécessité de vie, de l’annihilation politique.

Ézéchiel passe pour le plus obscur des prophètes. Souvent, en effet, il pousse aux dernières limites les procédés de symbolisme qu’affectionnaient les anciens prophètes. Dans le spectacle du monde bizarre et fantastique que l’art et la civilisation de la Chaldée présentaient autour de lui, il a absorbé nombre d’images compliquées et étranges : il est l’ancêtre de la Cabale et c’est lui qui le premier a rempli, pour la passer à Daniel, Enoch, Jean de Patmos et tant d’autres, la coupe fumeuse de l’Apocalypse. Mais sous les symboles obscurs et pénibles, sa pensée se développe avec une clarté et une logique que ne présente aucun autre prophète.

Tant que Jérusalem est debout, tant que la lutte dure encore entre Israël et Babel, et par suite dans Israël même entre les deux mondes qui le déchirent, le vieux monde banal et charnel qui ne veut pas mourir, et le monde nouveau, animé de l’esprit divin,