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Berlin et Friedrichsruhe, il y a un souffle de guerre, c’est certain. Comment ce duel, inégal si l’on veut, singulièrement dramatique néanmoins, se dénouera-t-il? Que M. de Bismarck se croie défendu par son passé, par son rôle de fondateur de l’empire, cela se peut. Il a aussi devant lui un prince qui déclarait l’an dernier qu’il réduirait en poussière ceux qui lui créeraient des obstacles, et c’est peut-être un jeu redoutable de répondre par des défis partis de Friedrichsruhe aux menaces qui viennent de Berlin, qui peuvent d’un jour à l’autre devenir des réalités. En viendra-t-on à cette extrémité? Il serait curieux, on l’avouera, de voir l’implacable génie qui s’est montré sans pitié pour des adversaires, pour M. d’Arnim, pour M. Geffken, frappé à son tour des mêmes armes, victime de la terrible Némésis qui n’épargne pas les puissans. En fait de spectacles, celui-là serait certes un des plus imprévus, un des plus saisissans pour l’Europe comme pour l’Allemagne.

Les choses sont moins tragiques en Italie, sans être moins significatives, et M. Crispi, en tombant après M. de Bismarck, ne sera probablement pas tenté de renouveler de sitôt ses pèlerinages à Friedrichsruhe, au risque de ne plus pouvoir passer par Berlin. Il a disparu, et le nouveau ministère qui lui a succédé a eu tout au moins à ses premières heures l’avantage des gouvernemens de bonne volonté nés pour détendre les situations critiques. Dans quelle mesure le ministère de MM. di Rudini, Nicotera, Luzzatti, Colombo réussira-t-il? Il en est encore à s’établir à la faveur de la courte trêve que lui laisse une suspension parlementaire de quelques jours. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’avant ces courtes vacances le nouveau ministère a eu le temps de se présenter aux chambres avec un programme, où il expose, sans subterfuge, dans un langage aussi décidé que mesuré, une politique de modération et de réparation. A dire vrai, il y a deux parties dans ce programme. Il y a la partie intérieure qui, en écartant tout ce qui ne serait que de la politique de parti, se résume en un seul point pratique et essentiel : réparation des finances, rétablissement de l’équilibre du budget sans aggravation de charges, sans impôts nouveaux; économies à tout prix, sur toutes les dépenses, sur les dépenses militaires comme sur les autres. C’est après tout le programme des dernières élections, de la chambre elle-même. La partie extérieure était évidemment la plus délicate, et ici le nouveau ministre des affaires étrangères qui est en même temps le chef du cabinet, le marquis di Rudini, a eu le mérite d’aller, autant que possible, droit au fait. Il a promis sa fidélité aux alliances, c’était prévu ; il a aussi touché le point vif en avouant, avec une grande apparence de sincérité, l’intention de travailler à dissiper « les doutes, les soupçons, les défiances » qui ont pu s’élever, — « à tort, » assure-t-il, — entre l’Italie et la France. C’est là toute la question. Pour la première fois depuis longtemps, elle se précise avec cette netteté. Elle est aujourd’hui à ce qu’il