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impression qu’il y a bien des choses qui changent ou sont en train de changer dans notre vieille Europe. On n’a tout simplement, pour se mettre au vrai point, qu’à se demander si des faits encore récens auraient été possibles il y a deux ou trois ans, si même on en aurait eu l’idée. Ce n’est pas qu’il y ait à chercher aussitôt des secrets là où il n’y a aucun secret et à se perdre en commentaires de fantaisie. Il suffit de suivre sans illusion le courant mobile et changeant des choses. Notre ingénieux et éloquent ami, M. de Vogüé, en faisant revivre récemment, pour notre instruction, ce qu’il appelle les Spectacles contemporains, s’est arrêté de préférence aux spectacles tragiques ou grandioses, à la mort de l’empereur Guillaume Ier à la catastrophe de l’empereur Alexandre II de Russie, à l’invasion du mystérieux continent noir; mais il y a d’autres spectacles qui ont aussi leur intérêt, qui peuvent passer pour des signes du temps. Il y a ce mouvement du jour où tout se mêle, et les changemens à vue et les révolutions de diplomatie qui s’essaient, et les promenades princières qui ont parfois le don de piquer la curiosité.

Ce n’est, assurément, rien de bien extraordinaire que le voyage et le séjour d’un archiduc destiné à porter la couronne d’Autriche à la cour de Saint-Pétersbourg. Ce n’eût été qu’un incident inaperçu autrefois, au temps déjà lointain, il est vrai, où il y avait entre Pétersbourg et Vienne des habitudes d’intimité. Aujourd’hui, on est tenté de le remarquer, peut-être un peu parce qu’on n’était plus accoutumé à ce spectacle, un peu aussi, vraisemblablement, parce qu’on croit distinguer dans l’accueil fait au prince autrichien quelque intention plus marquée de sympathie et de cordialité. Le fait est que l’archiduc François-Ferdinand d’Este a trouvé, dans la ville des tsars, tout ce qui pouvait le flatter, les bals, les galas, les fêtes militaires, des revues où il a eu, comme un souverain, les honneurs du commandement. C’est certain, le faste de la politesse y est tout entier. Qu’en peut-on conclure? Il ne faudrait évidemment rien exagérer. Les galas de Pétersbourg ne décident rien dans les Balkans; ils n’interrompent ni ne détournent la politique patiente, invariable, du tsar dans les affaires d’Orient comme dans les affaires de l’Europe. Dans le fond, après comme avant, les positions restent les mêmes. Il faut bien, cependant, qu’il y ait quelque chose de changé pour que ce qui n’eût pas été possible il y a un ou deux ans soit devenu si aisément réalisable ; il faut bien que la tension des rapports se soit adoucie depuis le temps où l’on se croyait menacé à Vienne par les mouvemens militaires de la Russie, et c’est ce qui fait justement que ce voyage de l’archiduc François-Ferdinand à Saint-Pétersbourg peut passer, jusqu’à un certain point, pour un des signes d’une situation nouvelle.

Autre spectacle contemporain qui n’est pas le moins curieux et le moins original ! Assurément Paris est, depuis longtemps, accoutumé à