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promesses d’économies, qu’une partie de cette majorité, la droite, ne se prêterait plus à toutes les fantaisies du président du conseil. A tout instant, à propos du rétablissement du vote uninominal réclamé par la chambre, à propos d’une nouvelle organisation provinciale proposée par le ministère ou de l’exposé financier de M. Grimaldi, on voyait poindre le dissentiment. M. Crispi a-t-il senti le péril et a-t-il voulu essayer son pouvoir sur la chambre, soumettre les oppositions naissantes en les défiant ? A-t-il cédé à quelque violence soudaine de tempérament ? Est-ce calcul ? Est-ce faute de tact ? Toujours est-il que, le 31 janvier, en pleine séance, à l’occasion d’une surtaxe proposée par le ministre des finances et même appliquée avant d’être votée, M. Crispi s’est livré aux plus violens excès de langage contre les anciens gouvernemens, contre ceux-là mêmes qui ont fait l’Italie. Le vieux révolutionnaire s’est réveillé en lui ! Aussitôt une émotion extraordinaire s’est emparée de la chambre. Un des ministres, M. Finali, qui a figuré dans les cabinets d’autrefois accusés de servilité, a quitté le banc ministériel. M. Luzzatti, rapporteur et défenseur de la loi de surtaxe, a déclaré abandonner le projet. Calcul ou maladresse, M. Crispi a payé sur le coup son intempérance. Il a péri, frappé par une majorité de plus de 60 voix, dans une échauffourée provoquée par lui !

C’est un incident imprévu qui a décidé brusquement la chute de M. Crispi. Au fond, le premier ministre, qui a dépouillé l’habit du vieux conspirateur mazzinien pour frayer avec les chanceliers et les empereurs, n’a pas péri pour si peu. Il est tombé sous le poids des difficultés de toute sorte qu’il s’est créées à lui-même, qu’il a créées à l’Italie par ses procédés de politique intérieure et de politique extérieure. M. Crispi s’est trop cru le maître. Il s’est complu dans son omnipotence d’occasion, prenant pour lui la diplomatie et le ministère de l’intérieur, jouant pour le reste avec ses collègues comme avec le parlement, imposant sa volonté, son humeur irascible et hautaine, déplaçant brutalement les hommes. Il a abusé du pouvoir, — et il a fini par amasser contre lui les antipathies, les ressentimens, les résistances qui devaient éclater un jour ou l’autre ; mais c’est surtout par sa politique extérieure qu’il a accumulé les complications. Ce n’est pas lui, sans doute, qui a créé la triple alliance, il l’a poussée à bout, sacrifiant les vrais intérêts de l’Italie, ses finances, son industrie, son commerce à un mirage de grandeur factice. Il s’est fait une sorte de point d’honneur d’exercer son humeur querelleuse et d’envenimer les méfiances de son pays à l’égard de la France, au risque de compromettre des relations traditionnelles utiles pour les deux peuples. Il a joué au Bismarck transalpin, — et le jour où le chancelier allemand a disparu, cessant de le couvrir de sa grande ombre, il est resté seul avec les difficultés qu’il avait créées, avec le déficit dans le budget, avec le commerce compromis, avec les dépenses militaires démesurées contre