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remplacer, que la révolution elle-même y a échoué. Il est mêlé à tout, aux mœurs comme à la législation. Il est dans les articles organiques du Concordat, dans toutes les lois sur le travail des enfans, sur l’apprentissage, dans des lois scolaires récentes. C’est le jour férié pour toutes les administrations, pour tous les services, pour les échéances, pour les actes judiciaires. Bien mieux encore ! la loi reconnaît les plus grandes fêtes catholiques, l’Ascension, la Toussaint, Noël ; la république elle-même, dans ces dernières années, y a ajouté de son propre mouvement les lundis de Pâques et de la Pentecôte, classés parmi les jours fériés. N’importe ! Ce dimanche ne dit rien de bon, c’est un jour clérical ! On prendra le jour qu’on voudra, la loi nouvelle ne le dira pas ; elle aura fait sa petite manifestation laïque ! Et si les chefs d’industrie choisissent leur jour suivant leur fantaisie, si les membres d’une même famille d’ouvriers, appartenant à des usines différentes, ont aussi des jours de repos différens, où ira-t-on ? À quel absurde gâchis va-t-on arriver ? Ce qu’il y a de plus plaisant, c’est l’embarras de cette infortunée commission, interpellée de toutes parts, pressée de dire son dernier mot, se débattant dans toutes sortes de contradictions et de subterfuges, sentant bien que le dimanche est le jour naturel du repos, mais n’osant l’avouer et finissant par ne plus rien répondre. Le gouvernement, représenté par M. le ministre du commerce, n’a pas été plus explicite. Ces singuliers laïcisateurs ne se sont pas doutés qu’ils donnaient devant le pays une des représentations les plus ridicules de la puérilité de leurs préjugés et de leur impuissance.

Au fond, le secret de tout, c’est que les républicains de la majorité de la chambre ne savent pas prendre leur parti et avoir une opinion. Ils craignent d’avoir l’air de faire des concessions, de paraître livrer la république, dont ils prétendent rester les maîtres, et, retranchés dans leurs méfiances, dominés par les radicaux, ils semblent plus que jamais disposés à recommencer ou à poursuivre leurs guerres de secte ; mais il fallait donc le dire au moment des élections.

Chose étrange, éternelle inconséquence des partis ! Au moment des élections, la plupart des républicains ne parlaient que d’apaisement et de conciliation ; ils s’étudiaient à rassurer l’opinion par des promesses de modération. Les conservateurs à leur tour, il est vrai, s’efforçaient d’atténuer leurs programmes. À part quelques fidèles inflexibles de la monarchie, ils ne parlaient ni de royauté, ni de restauration ; ils se bornaient à se présenter comme les gardiens des intérêts conservateurs sans mettre en cause la république. Aujourd’hui, à mesure qu’on s’éloigne du scrutin, il y a dans les deux camps ou, si l’on veut, parmi les impatiens des deux camps une sorte de retour à la politique de guerre et d’irréconciliabilité. Est-ce que ce n’est pas là l’évidente justification de la tentative que poursuivent en ce moment même M. Piou et ses amis pour relever entre les partis extrêmes le drapeau de la paix morale