Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/944

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’était ni ce qu’avait voulu le général Miles, ni ce que désiraient le président et son cabinet. Les uns et les autres aspiraient à une solution pacifique. Si la répression s’imposait, les idées de justice et d’humanité dominaient ; la mort de Sitting-Bull était regrettable, plus regrettable encore le massacre de Cherry-Creek, et l’on redoutait le retentissement qu’il aurait parmi les Indiens ralliés, qui non-seulement avaient refusé de faire cause commune avec les Sioux, mais avaient envoyé auprès d’eux des délégués pour les amener à conclure la paix. Quand la nouvelle en parvint aux Indiens amis, comme on les désigne, campés autour des agences, presque tous s’éloignèrent en silence, se hâtant de rejoindre leurs tribus ; d’autres, en plus petit nombre, se peignirent le visage en signe d’hostilité, et, s’éparpillant en tirailleurs autour des agences, essayèrent de les incendier. Elles étaient bien gardées, et ces tentatives n’aboutirent qu’à coûter la vie à quelques scouts et à quelques Indiens.

Quand on apprit ces événemens à Washington, l’émotion fut profonde. Les détails qui suivirent : le massacre général des Sioux, le feu des mitrailleuses ouvert sur des femmes et des enfans, révoltaient l’opinion publique. Le président ordonna une enquête, et, usant de ses pouvoirs, suspendit de ses fonctions actives le général Forsyth, appelé à Washington pour y rendre compte de ses actes. Mais on ne pouvait suspendre les opérations militaires, ni compter sur des mesures disciplinaires pour désarmer les Indiens révoltés, pour ramener les Indiens amis. Il importait d’en finir avec les Sioux, dont 4,000 tenaient encore la campagne. Ce n’était plus qu’une bande d’affamés, sans chef et sans cohésion, mais qui pouvait se recruter de tous les mécontens. Il était facile de les écraser, il était politique et humain de les épargner. Le général Miles le comprit : anxieux d’éviter l’effusion du sang, manœuvrant avec habileté, évitant les rencontres partielles, resserrant peu à peu les Sioux dans un cercle de canons et de baïonnettes, il les contraignait, le 16 janvier 1891, à mettre bas les armes.

Cette campagne, heureusement menée, paralysait tout mouvement général. Des insurrections partielles peuvent encore éclater, d’autres tribus indiennes peuvent encore se soulever, mais les coups portés aux Sioux sont de ceux dont les Sioux ne se relèveront pas. Leur race semble appelée à disparaître ; le contact avec la civilisation achèvera l’œuvre des armes de la civilisation. Inhabile à s’adapter à un mode d’existence nouveau, de nomade à devenir sédentaire, l’Indien n’a plus de place sur ce continent qui fut sien. Là où il dressait ses tentes s’élèvent de grandes cités ; ses terrains de chasse sont convertis en fermes et en vergers ; sa