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pouvait disparaître demain, quitte à renaître de ses cendres. Il était dans l’effet moral, dans la constatation d’impuissance à résoudre la question indienne, dans les représailles qui suivraient la révolte et qui paraîtraient d’autant plus cruelles que la lutte serait plus inégale. Il était surtout dans les légitimes griefs des Indiens, dans l’impossibilité de concilier les exigences des colons et les droits des premiers occupans du sol. Ces considérations d’ordre moral, d’humanité, de justice, pèsent d’un grand poids sur les résolutions du gouvernement et sur l’opinion publique. Pas un journal qui ne s’en fasse l’écho, pas un publiciste important qui ne s’en fasse l’avocat. Si le gouvernement masse des troupes autour des Réserves et de la ville de Mandan menacée, il multiplie aussi les enquêtes, et les Indiens n’ont peut-être pas d’amis plus sincères que ces officiers de l’armée prêts à entrer en lutte avec eux, tout en maudissant les fautes commises qui rendent la lutte inévitable.

Ils n’étaient pas seuls, d’ailleurs, à s’entremettre. Une femme, Mrs C. Waldon, sollicitait de la Société de protection des Indiens la mission de se rendre auprès de Sitting-Bull, le chef des Sioux, et de l’amener à user de son influence pour prévenir la guerre. Elle mettait au service de la Société et de son œuvre un dévoûment sincère et une grande fortune. Pendant plusieurs mois, malgré les dangers qu’elle courait, elle vécut au milieu des Sioux, et la lettre qu’elle écrivait, quelques jours avant les événemens qui devaient amener la mort du vieux chef, prouve l’énergie de ses efforts. « Dans la dernière entrevue que j’eus avec Sitting-Bull, dit-elle à la date du 10 novembre 1890, je le pressai ardemment de pacifier les Sioux. Il haussa les épaules et me répondit : « Que puis-je faire ? Les agens nous traitent trop mal. Pour moi, je suis trop vieux maintenant, lassé de tout ce que je vois ; quoi qu’il arrive, je préfère mourir. » Les Sioux, ajoute-t-elle, sont exaspérés, on ne leur paie pas leurs terres, on ne leur donne pas leurs rations, on n’a même pas encore tenu la promesse faite, en 1875, d’une indemnité pour les 7,000 chevaux qu’on leur a confisqués. » Elle insiste surtout sur ce fait que les Indiens dont on a le plus réduit les rations sont les Uncapapas, le clan familial du chef des Sioux, et elle accuse hautement M. Laughlin, agent de la Réserve de Standing-Rock, d’avoir ainsi voulu se venger de Sitting-Bull et le pousser aux extrémités.

Il y était résigné, plus encore que résolu. Avec ses forces, il sentait décroître son prestige, et il devait compter, dans sa tribu même, avec un élément nouveau, un produit hybride, résultat du contact des deux races : les Indian Bucks. On désigne ainsi de jeunes Indiens, nés sur les Réserves, répugnant à la vie sédentaire