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la route à celles qui suivaient. En même temps, un corps d’Indiens se glissait entre l’arrière-garde et le convoi, abattant à coups de fusil les attelages des derniers wagons et empêchant ainsi une volte-face. Le convoi tout entier, composé de trente-cinq grandes charrettes d’ordonnance, portant les vivres, effets de campement et munitions de la colonne, se trouvait enfermé dans le défilé. Du haut des rochers, les Indiens fusillaient les attelages effarés et leurs conducteurs sans défense.

Coupé de ses communications avec son arrière-garde, le major Thornburgh rallia une partie de ses hommes, chargea les Indiens et réussit à faire une trouée ; mais quand, à la tête de son arrière-garde, il revenait sur ses pas, une balle l’atteignit en pleine poitrine et le renversa au milieu du défilé. Sous les ordres du lieutenant Price, la colonne parvint à rallier le convoi ; mais, enfermée dans cet étroit espace, exposée, sans pouvoir y riposter, à un feu plongeant, elle perdit en quelques minutes 45 hommes de son effectif et la plupart de ses chevaux. A l’entrée, comme à la sortie du défilé, se dressait une barricade de wagons démontés qui fermait toute issue. Resserrés dans ce passage où ils pouvaient à peine se mouvoir, encombrés de compagnons morts ou mourans, d’animaux agonisans, mitraillés par des ennemis invisibles, les soldats perdirent un moment tout espoir.

A la voix du lieutenant Price, la discipline et le sentiment du devoir se réveillèrent. Sur son ordre, les survivans se glissèrent sous les charrettes, les défoncèrent, en sortirent des pioches et des munitions et se mirent à creuser des trous dans lesquels ils s’abritèrent, ainsi que les barils de poudre, dont l’explosion pouvait achever le désastre. Manœuvrées par en dessous, les charrettes formaient une sorte de dôme qui les garantissait contre la mousqueterie des Indiens. Ils avaient des vivres et de la poudre, mais ce qui rendait leur situation intolérable, c’était le manque d’eau d’une part, et de l’autre, les cadavres d’hommes et d’animaux, les plaintes des mourans, les gémissemens des blessés. La situation n’était pas tenable longtemps. Un homme de cœur s’offrit pour tenter une aventure désespérée. J.-P. Rankin, l’un des éclaireurs de la colonne, parvint, en se glissant sous les wagons, jusqu’au lieutenant Price et lui demanda de l’autoriser à aller chercher des secours.

Le poste militaire se trouvait à cent milles de distance. Rankin proposait d’attendre la nuit et de gagner l’entrée du défilé. S’il parvenait à éviter les balles des Indiens, il se faisait fort, une fois en rase campagne, de leur dérober un de leurs chevaux et de porter un message du lieutenant Price. Lui-même guiderait les