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Du dernier recensement il résulte qu’ils sont au nombre de 246,000, noyés dans une population de race blanche de plus de 50 millions. Il y a un demi-siècle, les statistiques du général Cass accusaient un total de 458,000 ; en cinquante années ils auraient donc décru de moitié. Non par le fait d’une dépopulation systématique, non par le fait du mauvais vouloir d’un gouvernement désireux d’en finir avec des complications sans cesse renaissantes, mais par le contact avec une civilisation involontairement meurtrière des autochtones nomades, par le simple jeu des rouages administratifs, militaires et sociaux d’une race en pleine expansion. A aucune époque de son histoire, le gouvernement américain, en tant que gouvernement, ne s’est montré dur et inhumain pour l’Indien. Il a obéi, et il obéit encore, à d’inéluctables fatalités ; il a voulu et il veut protéger la race inférieure et faible, mais il ne peut ni ralentir, ni moins encore enrayer le mouvement de colonisation et de mise en valeur du sol. On n’arrête pas brusquement une locomotive lancée à toute vapeur ; elle broie le caillou trop friable pour la faire dérailler, elle écrase, dans sa course rapide, celui qui ne l’entend ni la voit ; elle n’est ni sympathique ni cruelle, elle est une force et brise ce qui lui fait obstacle.

A chaque pas qu’il faisait en avant, l’Américain se heurtait à l’Indien. Il le retrouvait dans les plaines du Texas et dans celles de l’Indiana, dans l’Ohio, l’Illinois et la région des Grands-Lacs ; il le retrouvait en deçà et au-delà des montagnes Rocheuses. Sur les terrains de chasse de l’Indiana, le settler élevait sa log cabin que remplaçait bientôt une maison solide ; dans le champ qu’il défrichait, le soc de sa charrue ramenait à la surface les ossemens des ancêtres de la tribu et, témoin impuissant de l’involontaire profanation, l’Indien s’armait, tuait et brûlait, traqué à son tour comme une bête fauve par le settler menacé ou ruiné. Tous deux luttaient pour l’existence, l’un avec le désespoir de l’opprimé, l’autre avec la conscience de son rôle de soldat du progrès, chacun avec ses armes, et elles n’étaient pas égales.

A cela, quel remède ? A quelle mesure s’arrêter pour concilier d’inconciliables intérêts, pour laisser libre carrière à la colonisation agissante et envahissante, pour protéger l’Indien contre ses violences ? On crut l’avoir trouvé dans la création des Réserves indiennes, de vastes territoires surveillés, dans lesquels l’Indien parqué vivrait à l’abri.

Mais, dès le début, on se heurtait à une insurmontable difficulté que la force seule pouvait trancher. L’Indien tenait, par toutes les fibres de son être, à sa terre natale, au sol où dormaient ses pères. Comment le décider à l’échanger contre un autre ? Puis, l’Indien