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et surtout d’agression. Durant son long ministère, il sut conserver aux rapports des deux pays le caractère d’une constante courtoisie. Cependant ses adversaires s’agitaient, M. Crispi les menait et se faisait remarquer par la violence de ses accusations. En 1884, à Parme, il déclarait que « l’Italie n’aurait de repos que quand elle aurait vengé le meurtre d’Oberdank. » Au parlement, il restait l’implacable ennemi de la politique nouvelle dont les premiers initiateurs avaient été d’ailleurs les hommes de la droite qu’il avait toujours combattus. Dans une séance mémorable, il lança au chef du cabinet cette sanglante injure : « Vous vous êtes constitué, leur dit-il, le gendarme de l’Allemagne ! » Il en vint à préparer, avec ses amis, désireux comme lui d’arriver au pouvoir, une publication, une sorte d’appel au pays ou d’acte d’accusation contre le ministère. Depretis s’en émut et conjura le péril. Il offrit à M. Crispi le ministère de l’intérieur. Voici comment le dernier président du conseil a raconté lui-même cet incident : « Lorsqu’on mars 1887, a-t-il dit à la chambre, Depretis m’invita à entrer dans son ministère, je demandai lecture du traité de 1882 qui venait d’être renouvelé, afin de me régler en conscience. L’ayant jugé défensif et non offensif, je fus pleinement satisfait et j’acceptai. » Comme on le voit, sa conversion fut en quelque sorte instantanée. Cet irrédentiste endurci, ce patriote intransigeant envisageait la veille le traité d’alliance comme une œuvre maudite ; il en était le lendemain pleinement satisfait. Le pouvoir a des séductions auxquelles les plus fermes esprits ne résistent pas toujours. Membre du cabinet, M. Crispi y conquit, du premier jour, l’autorité que comporte un caractère audacieux et entreprenant. La santé de Depretis était gravement atteinte ; il succomba bientôt. Rallié à sa politique, orateur écouté et influent à la chambre, M. Crispi était tout désigné pour constituer un nouveau ministère. Le roi lui en confia le soin.

Élevé à l’école de Mazzini et de Garibaldi, le nouveau président du conseil en avait été longtemps l’un des plus constans affiliés. Il a rejoint l’un à Londres et suivi l’autre en Sicile, disciple toujours ardent et fidèle. Comme eux, il a toujours eu le goût des témérités et il ne semble pas l’avoir perdu. En toute occasion, il a hardiment abordé les difficultés qu’il a rencontrées sur son chemin. Devenu, soudain, le chef du gouvernement de son pays, après une longue vie passée dans l’opposition, avec des sentimens et des antécédens qui ne l’avaient pas préparé à sa nouvelle mission, il se trouva en présence d’une situation hérissée, pour lui, d’exigences contradictoires. Il lui fallait cependant prendre un parti, affirmer une politique. Ce républicain obstiné, cet ennemi irréconciliable des