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ne nous imposons pas ; nous essayons seulement de renouer les anciennes relations amicales… Si la guerre éclate, le feu devra être mis aux poudres par d’autres ; ce n’est pas nous qui le mettrons… » Mais, selon lui, il est une nécessité impérieuse à laquelle l’Allemagne ne peut se soustraire ; elle doit être aussi forte que son intérêt l’exige et que sa puissance le comporte, toujours prête et en état de défendre l’empire de toutes parts à la fois. « Le projet de loi, ajoute-t-il, nous apporte un appoint considérable de troupes formées : il consolide la ligue de la paix comme si une quatrième puissance, avec 700,000 hommes, y accédait. L’opinion publique se tranquillisera en pensant que, si nous sommes attaqués simultanément de deux côtés, nous pourrons diriger un million d’hommes sur chaque frontière en gardant en réserve un troisième million… Si nous n’en avons pas besoin, tant mieux. Nous ferons tout pour qu’il en soit ainsi… Nous, Allemands, a-t-il dit en terminant, nous craignons Dieu, mais rien autre chose au monde, et cette crainte de Dieu nous fait aimer et cultiver la paix. Celui qui la violera pourra se convaincre que l’amour de la patrie, qui, en 1813, appela la population entière de la Prusse, amoindrie et exténuée, aux armes, anime aujourd’hui toute la nation allemande, et que celui qui l’attaquera la trouvera unie, armée, et verra que chaque guerrier porte en son cœur la ferme croyance que Dieu est avec nous. » Nobles et fières paroles dont on ne saurait méconnaître l’accent chrétien et patriotique, mais qui ne causent pas moins une vive surprise quand on songe que l’homme d’état qui les a proférées a voulu et fait trois guerres en six ans, qu’il a mis le feu à l’Europe, de la Baltique au Danube et du Danube à la Loire ; langage d’un néophyte, dira l’histoire, converti à Dieu et à la paix après avoir récolté, sur les champs de bataille, une riche moisson de succès et de gloire.

Le discours du chancelier passionna l’assemblée et mit fin à la discussion ; la loi fut votée par acclamation. Il avait triomphé des hésitations du parlement et obtenu les crédits demandés par le ministre de la guerre. Était-ce le but unique qu’il se proposait ? N’avait-il pas en vue également de tenter un effort pour détendre ses relations avec la Russie, pour avertir en outre ses alliés qu’il était encore des éventualités qui lui permettraient de se réconcilier avec l’empire du Nord, si, de leur côté, ils ne s’imposaient pas, comme l’Allemagne, les sacrifices exigés par l’intérêt commun ? Avec un esprit aussi délié, tout est vraisemblable. Il est même à remarquer que les plus sérieux efforts de l’Italie, pour améliorer les conditions de sa puissance militaire, datent de cette époque ; que de cette époque date également l’immixtion de