Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/889

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certainement par le cabinet de Vienne, n’est pas moins digne de remarque. Ce qui l’est davantage, ce qu’il importe de retenir, c’est la distinction établie entre le cas d’une guerre avec la Russie et celui où elle éclaterait avec la France. Dans le premier, les deux alliés se doivent un concours réciproque et absolu, quel que soit celui qui serait attaqué. Dans le second, le contractant qui ne se trouverait pas directement engagé dans le conflit dès le début n’aurait point, la Russie s’abstenant, à y participer. Son unique devoir consisterait à prendre et à garder une attitude bienveillante. Est-ce à dire que, si une lutte nouvelle survenait entre la France et l’Allemagne, nous pourrions compter sur la neutralité de l’Autriche ? Tel n’est pas notre sentiment. L’esprit et la portée des clauses conventionnelles, quels qu’en soient les termes, se modifient avec les circonstances, et personne n’ignore que, de notre temps, elles comportent toutes les interprétations. La loi des traités, ce principe si respectable de la solidité des relations internationales, de la sécurité des peuples et de la paix générale, a subi de bien graves atteintes depuis que la force a plus d’empire que le droit, et le gouvernement qui en ferait aujourd’hui la règle invariable de sa conduite et de ses déterminations s’exposerait aux plus redoutables mécomptes[1].

Le traité signé à Vienne, en 1879, resta secret en ce sens que, si on en connaissait l’objet, on en ignorait la teneur et les

  1. Le préambule du traité austro-allemand porte : « Considérant que les deux monarques seront à même, par une alliance solide des deux empires, dans le genre de celle qui existait précédemment, d’accomplir ce devoir » (celui de veiller à la sécurité de leurs états). Cette solide alliance, qui existait précédemment, a-t-elle empoché la Prusse de déclarer la guerre à l’Autriche sans cause et sans provocation, uniquement pour satisfaire sa cupidité ? « Les deux souverains, ajoute le préambule, se promettant solennellement de ne jamais donner une tendance agressive quelconque à leur accord purement défensif, ont résolu de conclure une alliance de paix et de protection réciproque. » M. de Bismarck étant premier ministre, la Prusse a violé le traité de 1852 garantissant au Danemark l’intégrité de ses territoires ; — le traité de 1856, en encourageant (il l’a avoué) la Russie à s’affranchir de la clause qui neutralisait la Mer-Noire ; — le traité prusso-italien de 1860, en concluant la paix avec l’Autriche à Nikolsbourg sans la participation et malgré les protestations de son allié ; — le traité de Prague de la même année, en imposant aux états de l’Allemagne du Sud, auxquels il assurait une situation libre et indépendante, en leur imposant, disons-nous, des conventions qui plaçaient toutes leurs forces militaires, sans distinction, sous le commandement direct et absolu du roi. Qui garantirait désormais à l’Europe que la Prusse s’abstiendra de contraindre l’Autriche, si tel est son intérêt et quand elle jugera le moment opportun, à convertir leur accord pacifique en alliance offensive ? Après avoir été témoins des violences commises, des engagemens méconnus, ne pourrions-nous pas, au contraire, répéter avec Hamlet : Des mots ! des mots ! des mots ! si de pareilles choses, ainsi écrites, ne commandaient le respect, même quand elles inspirent la défiance.