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demanda à Vienne le prix des acquisitions qu’on lui devait et offrit au gouvernement austro-hongrois de conclure un accord défensif. Le cabinet de Vienne ne pouvait le décliner. Il est vraisemblable même qu’il le souhaitait pour s’abriter derrière l’Allemagne contre les colères de la Russie. On débattit longtemps cependant les clauses de ce rapprochement. On voulait à Berlin une entente engageant les parties pour toute éventualité, les prémunissant contre la Russie et la France également. Tout conflit de l’Allemagne ou de l’Autriche, avec l’une ou l’autre de ces deux puissances, devait constituer le casus fœderis. Nous avons assumé, répondait-on à Vienne, une situation qui nous commande de nous couvrir contre une agression de la Russie. L’opinion publique, dans tout l’empire austro-hongrois, comprendra, comme tous les cabinets de l’Europe, que nous nous unissions à l’Allemagne dans cette prévision, et on n’y verra qu’une mesure purement défensive. Le traité aura donc tous les caractères d’un arrangement pacifique. Aucune question ne nous met, au contraire, en dissentiment avec la France ; nous n’avons aucune raison plausible de prendre envers elle une attitude défiante ; en la visant, nous nous rendrions coupables d’un acte injustifiable de malveillance, sinon d’hostilité. M. de Bismarck se rendit à Vienne, intervenant de sa personne pour vaincre les résistances qu’on lui opposait. Le comte Andrassy maintint sa manière de voir et offrit sa démission. Le chancelier allemand dut se résigner à conclure le traité qui porte la date du 7 octobre 1879[1].

Que stipule-t-il ? Le nom de la France n’y est pas prononcé. L’article 1er porte que, si l’un des deux empires est attaqué par la Russie, ils se devront réciproquement le secours de la totalité de leurs forces militaires. S’il est attaqué par une autre puissance (art. 2), l’autre partie contractante s’engage à observer une neutralité bienveillante. Si la puissance attaquante était soutenue par la Russie (art. 3), l’obligation de se prêter une assistance réciproque, prévue dans l’article 1er, entrerait immédiatement en vigueur. Comme on le voit, le traité est conçu et libellé explicitement contre la Russie ; elle y est nommée deux fois, pendant que le nom de la France n’y est pas prononcé. On se prémunit contre elle ; et les deux empires d’Allemagne et d’Autriche devront prendre les armes et la combattre, soit qu’elle prenne l’initiative d’une agression, soit qu’elle seconde, à un degré quelconque, l’effort d’une autre puissance. Cette puissance, rien ne la désigne ; c’était un soin superflu. Mais cette omission volontaire, exigée

  1. Voir un article récent de la revue allemande Nord et Sud.