Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/877

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la Russie ne lui était plus nécessaire, que l’intimité devenait un fardeau, qu’il convenait de le déposer. Ce fut le nouveau programme du roi, dont l’exécution resta confiée au génie de M. de Bismarck. L’a-t-il rempli au gré de son maître et à l’avantage de son pays ? Ce que nous pouvons en dire ici, c’est qu’il en est issu l’état actuel de l’Europe. L’histoire appréciera l’œuvre et l’ouvrier. Nous n’insisterons pas davantage sur ce point. Nous anticiperions sur les événemens.

Quelle était cependant, à ce moment, la situation respective de la Prusse et de la Russie ? La campagne des duchés avait valu à la maison des Hohenzollern l’acquisition du Holstein et du Schleswig. Avec ces provinces, le port de Kiel, la clé de la Baltique, passait, des mains d’une nation amie ou neutre, entre celles d’une puissance envahissante, fidèle à son principe, celui de tous ses ancêtres : Ubi bene, ibi patria, pouvant désormais faire du Sund un Bosphore du nord et fermer à la marine russe l’accès de l’Atlantique. La guerre faite à l’Autriche lui avait valu d’autres et de plus notables agrandissemens ; elle s’était annexé des royaumes, des duchés, des villes libres. Laissant aux autres états de l’Allemagne du nord un semblant d’autonomie et d’indépendance, elle leur avait imposé un état fédératif dans lequel elle s’était réservé la part du lion. Elle avait arraché aux états du midi, les menaçant de sa colère, des traités qui les mettaient à sa merci. Survint la guerre de France, et l’Allemagne s’agrandit de l’Alsace et de la Lorraine. Couronnant l’œuvre si bien achevée, on releva l’empire germanique pour mieux assurer la domination des héritiers de Frédéric le Grand, en prenant soin d’imposer à la nation vaincue une contribution sous le poids de laquelle elle pouvait succomber. Telle fut la part de la Prusse. Quels avantages furent acquis à la Russie ? Le vœu du prince Gortchakof était exaucé. L’Autriche avait été vaincue et humiliée. Il avait eu la satisfaction de rayer du droit public la disposition, subie en 1856, neutralisant la Mer-Noire, clause qui, en réalité, ne neutralisait rien, ainsi qu’il l’a dit lui-même. Vains et stériles succès qui n’apportaient ni une satisfaction ni des garanties. Qu’en pensait-on sur les bords de la Neva ? Pendant que M. de Bismarck jugeait opportun de clore l’ère des conquêtes, on jugeait, au contraire, que le moment était venu de régler les comptes, d’établir la balance des bénéfices. Que fit la Prusse ? Elle se déroba, usant de douces paroles, de moyens dilatoires pour ajourner toute résolution, tout accord nouveau. La fidélité du gouvernement russe à la politique qui l’a si longtemps lié à la Prusse, les communications échangées publiquement, les toasts portés aux banquets avaient égaré l’opinion publique dans