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la paix faite, se hâtait de donner à sa puissance militaire. Toutes ces circonstances démontrèrent aux moins clairvoyans que l’accord était pleinement rétabli entre les deux gouvernemens. On les vit d’ailleurs, à dater de ce moment, marquer plus visiblement leur politique, la Prusse en Allemagne, la Russie en Orient. « Je ne lis jamais, disait M. de Bismarck, la correspondance du ministre du roi à Constantinople, » quand on éveillait son attention sur des éventualités imminentes en Turquie.

Ce fut une heure décisive et fatale que celle où le général de Manteuffel triompha des hésitations de la Russie. Il s’est écoulé un quart de siècle depuis lors, et l’Europe en est, aujourd’hui comme au premier jour, troublée et réduite à redouter les plus graves complications. Comment l’empereur Alexandre et le prince Gortchakof, ayant eu, un instant, la claire vision des dangers auxquels la Prusse agrandie exposait déjà la paix et l’équilibre européen, comment ont-ils pu se déterminer à reprendre et à continuer une politique non moins regrettable pour la Russie elle-même que pour les autres états du continent ? La Prusse n’avait-elle pas donné la mesure de sa puissance militaire et de son ambition ? Faut-il supposer que le général de Manteuffel avait été autorisé à ouvrir de nouveaux horizons, à promettre des compensations, à renouveler, en les précisant, les assurances d’une entente commune en Orient ? M. de Bismarck ne s’est-il pas montré, en mainte occasion, prodigue d’engagemens aléatoires ? Comment concevoir d’ailleurs et justifier autrement la conduite de la Russie ? Ce qui est certain, c’est que le gouvernement prussien put, dès lors, poursuivre, en toute sécurité, le cours de ses succès. Bientôt, en effet, il ne déguisa plus ses projets. Le traité de Prague lui avait valu d’importantes annexions ; il lui avait permis en outre d’étendre son influence sur tous les états de l’Allemagne du Nord et de fondre dans ses armées leurs contingens militaires. Il voulut davantage : il se proposa de placer, sous son hégémonie, les états du sud et de tenir dans sa main l’Allemagne entière des Alpes à la Baltique.

Le roi et son premier ministre, toutefois, ne se dissimulaient pas qu’en franchissant le Mein, au mépris des préliminaires de Nikolsbourg, la Prusse se heurterait à la France ; que, pour couronner l’œuvre commencée, il faudrait entreprendre une nouvelle guerre. On se mit en mesure de la soutenir, et, quand on y fut bien préparé, quand le moment parut opportun, on la provoqua fort habilement, avec la certitude que la Russie contiendrait l’Autriche et qu’elle observerait une attitude bienveillante.

L’empereur Alexandre était, en 1870, comme il l’avait été