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et l’autre de ces deux puissances pouvaient également, sans tirer l’épée, mettre obstacle aux projets conçus à Berlin. La concentration d’un corps d’armée sur le Rhin ou sur la Vistule aurait désarmé la Prusse et prévenu les hostilités.

Tout a été dit sur la politique de la France à cette époque, et nous ne pourrions l’apprécier ni la défendre ici sans sortir de notre sujet. Que dirons-nous de la politique de la Russie ? Le gouvernement prussien lui avait prêté une assistance précieuse dans l’affaire de Pologne ; mais elle avait largement acquitté sa dette dans la question des duchés ; elle lui avait sacrifié, dans une large mesure, ses intérêts dans la Baltique. Comment, dès lors, a-t-elle toléré l’inqualifiable agression dirigée contre l’Autriche ? Comment a-t-elle permis à la Prusse de renverser à son profit un ordre de choses établi avec l’accord unanime des puissances au congrès de Vienne, grâce auquel la cour de Saint-Pétersbourg avait pu exercer, pendant un demi-siècle, une influence prépondérante en Allemagne ? C’est que rien n’avait pu détourner, devons-nous croire, le cabinet russe de la voie où il s’était engagé depuis que les puissances occidentales, d’accord avec l’Autriche, avaient menacé de déclarer le tsar déchu de ses droits souverains en Pologne : son attitude, au début de la guerre, fut le gage des prochains succès de l’armée prussienne. Le roi Guillaume et M. de Bismarck s’en sont-ils souvenus quand la fortune les eut comblés de ses faveurs ? A leur tour se sont-ils montrés pleins de gratitude comme l’empereur Alexandre et le prince Gortchakof après la répression de l’insurrection polonaise ? C’est ce que nous rechercherons plus loin. Retenons, pour le moment, que la Prusse a dû à la bienveillance de la Russie de pouvoir disputer à l’Autriche et lui ravir le sceptre de la toute-puissance sur les pays teutoniques.

A la vérité, le canon de Sadowa retentit à Saint-Pétersbourg comme à Paris. Dans l’une comme dans l’autre capitale on comprit que la monarchie des Habsbourg, expulsée d’Allemagne, laisserait un vide immense qui serait comblé par l’insatiable ambition de la Prusse. L’opinion publique ne se méprit nulle part. La France et la Russie avaient été vaincues, comme l’Autriche, dans les plaines de la Bohême. Le gouvernement de l’empereur Napoléon voulut, mais trop tard, revendiquer les compensations qui lui avaient été promises. De son côté, le gouvernement de l’empereur Alexandre proposa de régler, dans un congrès, les conditions de la paix. Nous verrons M. de Bismarck, mis en présence du traité de San-Stefano, user de cet expédient diplomatique pour réduire les concessions que la Russie victorieuse avait arrachées au gouvernement du sultan. Mais s’il lui a convenu de l’invoquer en 1877, il