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Nous avons fait remarquer que la Caisse des dépôts, tout en ayant le maniement, l’administration et la garde des fonds confiés aux Caisses d’épargne ordinaires ou postales pour un montant de plus de 3 milliards par plus de 7 millions de déposans, en sommes variant des chiffres les plus minimes jusqu’à 2,000 francs, ne connaît pas ces déposans et n’a de relations qu’avec les Caisses elles-mêmes. En tant que Caisse nationale des retraites, notre établissement se trouve, au contraire, directement en présence de la clientèle humble et populaire pour laquelle a été créé ce service spécial. Le capital des rentes viagères est formé, en effet, par des versemens volontaires qui peuvent être d’un franc au minimum. Le but a été de recueillir les plus humbles épargnes et de les faire fructifier à l’abri de tout risque, en vue d’assurer aux déposans une ressource suprême pour les dernières années de leur existence[1].

Le maximum de rente viagère, pouvant être inscrit sur la même tête, avait été fixé à l’origine (loi du 18 juin 1850) à 600 francs. Il fut porté à 750 francs en 1856, à 1,000 en 1861, à 1,500 en 1864. La limite des versemens individuels en une année était élevée en même temps de 2,000 francs à 3,000, puis à 4,000. Enfin, le taux d’intérêt composé pour le calcul des rentes viagères, fixé d’abord à 5 pour 100, puis à 4 1/2, fut rétabli à 5 pour 100 en 1864 et maintenu à ce taux jusqu’en 1882. Cette combinaison du maximum de rente à 1,500 francs, du maximum de versemens à 4,000 francs et du taux d’intérêt à 5 pour 100, transportait les opérations de la Caisse nationale de retraites fort loin du but que leur assignait l’intention originelle du législateur. Il ne s’agissait plus seulement de solliciter l’épargne du travailleur économe et prévoyant. On offrait une véritable prime aux capitaux de la petite et moyenne bourgeoisie. Pour assurer une rente viagère de 1,500 francs à partir de cinquante ans à chacun de leurs enfans, des pères de famille avisés n’eurent, pendant cette période, qu’à verser à la Caisse des retraites, en une fois, une somme de 1,300 francs environ, pour chaque tête, à l’âge de trois ans : — « Beaucoup l’ont fait, soyez-en assurés, dit un jour M. Blavier au sénat, et je l’eusse fait moi-même pour mes petits-enfans si j’avais, en temps utile, connu ce placement si exceptionnellement avantageux. » — Beaucoup ont profité, en effet, des avantages qu’offrait alors la Caisse de retraites, mais M. Blavier allait un peu loin en affirmant que, de 1864 à 1882, la Caisse avait été livrée aux spéculateurs.

  1. M. Tirard, rapport au sénat, 1886. La mission de la Caisse est ainsi définie : « La Caisse recueille les plus humbles épargnes, les fait fructifier, accumule les intérêts jusqu’au jour de l’entrée en jouissance de la pension. L’État n’intervient que pour établir les comptes gratuitement. »