Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 103.djvu/861

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désagrégation mentale. De tout ce qui précède, il est permis de conclure que notre conscience n’embrasse pas et ne connaît pas tous les phénomènes psychologiques qui se produisent dans notre organisme. À côté des successions d’idées, d’émotions et de mouvemens, dont nous prenons connaissance, dont nous saisissons l’enchaînement logique, et qui constituent, par leur ensemble, notre moi, il peut exister des successions de même nature, c’est-à-dire des opérations intelligentes et conscientes pour elles-mêmes, qui s’accomplissent sans notre concours et même à notre insu.

Sans doute, il y a plusieurs siècles qu’on connaît et qu’on a décrit l’activité inconsciente de l’esprit ; les études récentes ne nous ont appris, peut-on dire, aucun phénomène absolument nouveau ; mais elles nous ont fait mieux comprendre ceux que nous connaissions déjà ; . elles nous ont montré d’abord que cette activité inconsciente, qui tantôt collabore avec l’activité de notre moi, tantôt travaille silencieusement pour son propre compte, n’est inconsciente que dans un sens tout relatif ; elle est ignorée de notre moi, voilà ce qui la fait paraître inconsciente, et ce qui lui donne l’apparence d’un mécanisme automatique. En second lieu, elle ne se compose pas seulement d’états désagrégés, sans lien les uns avec les autres ; ces états peuvent se coordonner, se grouper de différentes manières, et, en évoluant dans certaines conditions pathologiques que nous avons indiquées, devenir des personnalités. Nous sommes ainsi ramenés à cette vieille idée, si souvent développée par les philosophes et les moralistes de tous les temps, qu’il existe en chacun de nous plusieurs personnes morales.


ALFRED BINET.