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nous venons de résumer brièvement, c’est l’état de Félida, la célèbre malade d’Azam, c’est l’état de tant d’autres ; nous passons sur les détails, nous négligeons les anecdotes, pour nous en tenir à l’essentiel. On comprend maintenant que ces personnalités nouvelles qui font ainsi irruption dans la vie normale de certains malades, qui les arrachent à leurs habitudes, qui les incitent à voyager, qui leur font contracter des dettes et commettre des délits, et qui disparaissent ensuite sans même laisser après elles le souvenir de leur passage, on comprend, disons-nous, que ces personnalités bruyantes et tapageuses ne sont pas autre chose que la personnalité seconde, qui est toujours présente, quoique invisible, chez le sujet éveillé, et qui se développe pendant le somnambulisme artificiel. S’il pouvait, du reste, subsister le moindre doute à cet égard, nous rappellerions l’effet bien connu de l’hypnotisation, qu’on pratique aujourd’hui sur les sujets de ce genre lorsqu’on a quelque intérêt à connaître les actes qu’ils ont accomplis pendant leur crise de somnambulisme spontané ; il suffit souvent de les mettre en état de somnambulisme et de les interroger pour que les souvenirs de la crise puissent être réveillés.

Nous n’insistons pas sur les différences qui peuvent exister entre les somnambulismes spontanés et provoqués, ni sur les conditions physiologiques qui sont nécessaires à l’apparition de ces états ; toutes questions qui sont loin d’être complètement élucidées. Mais, d’une manière générale, on peut dire que l’étude des somnambulismes fournit de nouveaux documens à la théorie de la division de conscience.


III

C’est aussi la division de conscience qui a permis d’expliquer, au moins en partie, un phénomène de suggestion qui a été longuement étudié dans ces dernières années et qu’on a désigné successivement sous les noms d’anesthésie systématique, d’hallucination négative, de perception inconsciente, etc. On connaît le phénomène ; il consiste à supprimer, par suggestion, la perception consciente d’une personne ou d’un objet présens ; le sujet, docile à ce commandement, affirme qu’il ne voit plus, qu’il ne sent plus, qu’il n’entend plus l’objet supprimé. Si on lui a affirmé, par exemple, qu’une des personnes qui assiste réellement à l’expérience n’existe pas ou est partie, il cesse de voir cette personne ;