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prit en haine son époux. Or Romain avait en son particulier un eunuque nommé Jean. Le frère de celui-ci, Michel, avait reçu de la nature une beauté ravissante. A la prière de Jean, le Basileus avait admis Michel parmi les serviteurs de sa chambre à coucher. La Basilissa s’éprit d’un amour très vif pour celui-ci, et la vue quotidienne de sa beauté l’enflammait d’une ardeur croissante. Auparavant elle haïssait l’eunuque Jean ; maintenant elle le faisait venir à chaque instant, s’entretenait familièrement avec lui, l’accablant de questions sur son frère Michel. Comme cela se répétait souvent, l’eunuque, en homme avisé, comprit qu’elle était amoureuse de son frère. Il engagea celui-ci à la voir et, si elle lui faisait des avances, à ne pas craindre de la caresser, de l’embrasser et de l’étreindre. Que vous dirai-je de plus ? Les deux amans en vinrent au fait, et les choses allèrent si loin que la passion de cette femme ne fut plus un mystère pour personne : on s’en entretenait non-seulement dans le palais, mais dans les carrefours de Constantinople. L’empereur était seul à l’ignorer. Quand Romain était couché dans le même lit que l’impératrice, il ordonnait à Michel de chatouiller ses pieds à lui ; mais qui croira qu’il ne touchait pas aux pieds de l’impératrice ? L’empereur se faisait ainsi le complaisant et le concubin de leurs amours. A la fin, sa sœur Pulchérie et d’autres encore lui révélèrent l’histoire et l’engagèrent à prendre garde. Il se contenta d’interroger l’inculpé et de lui demander s’il était vraiment l’amant de l’impératrice. Michel nia énergiquement, et Romain le força de confirmer ses dénégations par un serment. Michel n’ayant pas hésité à se parjurer, le Basileus se persuada qu’on avait calomnié ce bon serviteur. Or, du jour où il eut commis ce parjure, Michel fut, dit-on, en proie à une maladie affreuse. A certains momens, son esprit se dérangeait, ses yeux se convulsaient, tout son corps était pris de tremblemens, jusqu’à ce qu’il roulât par terre. Puis il revenait à lui. Ces accès se produisaient fréquemment, parfois en la présence même de l’empereur, qui était pris de compassion pour lui, se persuadant d’autant plus que l’accusation était fausse, car un tel homme ne pouvait ni aimer ni être aimé. Quelques-uns prétendent que l’empereur pénétra le secret de leurs amours, mais que, sachant combien sa femme était ardente et folle, il toléra sa passion pour Michel, de peur qu’elle ne prît plusieurs amans. A la fin, il tomba lui-même malade, avec la figure enflée, l’air d’un mort, la respiration haletante et pénible, les cheveux lui tombant de la tête. On pensait que ce mal lui était venu d’un poison qu’on lui avait fait prendre. Un jour il entra dans le bain du palais, sans que personne portât ni soutînt ce moribond. C’est là que la tragédie s’accomplit : on dit que certains lui tinrent la tête longtemps sous l’eau et qu’on le rapporta presque mort sur son lit. Quand le bruit s’en répandit dans le palais, l’impératrice accourut, pleurante et gémissante, et ne se retira qu’après s’être