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que le luthéranisme n’est qu’un tissu d’inepties et de grossièretés[1].

Ce n’est point avec des textes tronqués ou des maximes isolées qu’on peut juger une religion et une doctrine. Cette méthode, il est vrai, les adversaires du christianisme, — et parmi eux, certains juifs, — ne se sont pas fait scrupule de l’appliquera l’Église, à la papauté, aux ordres religieux. Mais, si pareil procédé a peu de valeur contre le catholicisme, il ne vaut pas mieux contre le judaïsme. Les chrétiens l’admettent-ils pour le Talmud, que personne ne prétend inspiré, il le leur faut accepter pour la Bible, dont chrétiens et juifs reconnaissent l’autorité. De semblable attaque, la Bible ne sort pas toujours plus indemne que le Talmud. Certains antisémites n’ont pu se tenir de s’en prendre à elle, oubliant que viser le juif, à travers la Bible, c’était risquer de toucher le Christ. Ils ne songent pas, ces pieux adversaires d’Israël, qu’à pareille escrime ils ont eu pour devancier un illustre maître d’armes. Voltaire, le grand moqueur, n’a-t-il pas démontré, avant eux, « qu’aucun peuple n’avait jamais eu des mœurs plus abominables que les juifs ? » N’a-t-il pas, quelque part, un chapitre intitulé : « Que la loi juive est la seule dans l’univers qui ait ordonné d’immoler des hommes[2] ? » Je le signale aux antisémites qui ne le connaîtraient point. Mais, en s’en prenant ainsi aux juifs et à la Bible, Voltaire savait à qui il en avait.

Il en est des religions comme des vieilles églises de pierre ou de marbre. Pendant que la prière s’agenouillait sur leurs dalles, on vivait, on jouait, on se battait autour d’elles, et parfois jusque sous leurs voûtes. Plus d’une a été envahie par les hommes de guerre, et a vu ses tours changées en donjons, et ses nefs transformées en forteresses. Comment s’étonner si leurs murailles gardent encore la marque des assauts qui leur ont été livrés ? Ainsi des religions ; elles, non plus, n’ont pu traverser les siècles sans en subir les contacts et les souillures ; elles, aussi, ont parfois été converties en citadelles et en châteaux forts ; n’allons pas crier au scandale, s’il leur en reste parfois des taches de sang ou de boue. Le judaïsme talmudique a été, durant deux semaines de siècles, la place forte, et comme le réduit d’Israël : la Ghémara était son rempart. Rien de surprenant, si elle est encore, çà et là, hérissée de palissades. C’est un long siège qu’Israël a soutenu dans cette enceinte de textes et de rites élevée par ses rabbins,

  1. La démonstration a, du reste, été faite plusieurs fois, pour Calvin, comme pour Luther, par les polémistes catholiques. Je citerai, entre autres, la Vie de Luther et la Vie de Calvin, d’Aubin.
  2. Œuvres de Voltaire, édit. de 1775, t. XXXVIII.