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judaïsme ne leur est pas enchaîné. Parce qu’il a été immobile pendant quinze siècles, il nous paraît immuable : ce n’est pas une raison. Rien ne le condamne à demeurer pour jamais enroulé dans les feuillets du Talmud. Après avoir été la religion la plus étroite et la plus servile, il peut devenir la plus libre. Il en a la prétention. Stationnaire depuis la chute d’Israël, il se vante d’être la plus progressive des religions, la moins captive du rituel, la plus apte à toutes les transformations. Les chaînes qu’il porte, il se les est forgées, elles n’adhèrent pas à sa chair ; il peut les rompre ou les laisser tomber.

Quelques textes du Talmud ne suffisent point à condamner le judaïsme. Où est la religion qui résisterait à pareil procédé de dissection ? La virginale pureté de la morale évangélique n’en sortirait pas intacte. Quelques sentences, extraites de la Mischna ou de la Ghémara, ne prouvent pas plus la corruption de la morale juive que ne prouvent la perversion de la conscience catholique quelques maximes tirées de nos casuistes. La guerre d’embûches, faite aux juifs avec ces armes d’école, est une guerre de polémiste, puérile à la fois et pédantesque, telle que les chrétiens se la sont plus d’une fois faite entre eux. Le juif, pour se défendre, n’aurait guère qu’à faire appel au catholique contre le protestant, au protestant contre le catholique, à tous deux contre l’orthodoxe. Aux « Judaïsme dévoilé » publiés, depuis des siècles, dans toutes les langues[1], que de « Papisme dévoilé » ou de « Protestantisme démasqué » feraient pendans, depuis trois cents ans ! La science, d’habitude, n’a rien à voir dans les productions qui portent de pareilles étiquettes. Juive ou chrétienne, peu importe l’officine d’où elles sortent. Pour extraire des doctrines de la Réforme les thèses les plus immorales, il n’y a qu’à presser certaines maximes des réformateurs. Des théologiens allemands en ont fait l’aveu[2] : qui voudrait traiter les écrits de Luther comme Rohling[3] et ses émules ont traité le Talmud, prouverait sans peine

  1. L’ouvrage d’Eisenmenger : Entdecktes Judenthum (Kœnigsberg, 1711), offrait ainsi, dès le début du XVIIIe siècle, une compilation des inepties ou des bizarreries que l’on peut relever dans le Talmud. Eisenmenger avait été déjà devancé, au XVIe siècle, par Pfefferkorn, un renégat que combattit Reuchlin.
  2. Ainsi, M. F. Delitzsch, professeur de théologie à l’Université de Leipzig, Rohlings Talmudjude beleuchtet, traduit en russe, sous ce titre : Slavo pravdy o Talmudé.
  3. Le docteur Rohling, auteur de Der Talmudjude (Munich, 1878). Cet ouvrage, récemment imité en français, a donné lieu, de la part d’un rabbin de Vienne, le docteur Bloch, à un procès où ont été démontrées les inexactitudes de Rohling. Voyez Zur Judenfrage nach den Akten des Prozesses Rohling-Bloch, par Jos. Kopp ; Leipzig, Jul. Klinkhardt, 1886.