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s’étonner si le Talmud, vieux déjà de quinze siècles, contient des maximes qui choquent notre conscience contemporaine ? Ce qui doit nous surprendre, ce n’est pas les erreurs, les puérilités, les âpretés de la Mischna ou de la Ghémara, mais bien plutôt la délicatesse ou l’élévation de certaines de leurs vues, l’ingéniosité de leurs discussions, l’humanité, pour ne pas dire la charité de leurs décisions. Pour juger ces vieux monumens talmudiques, il nous faut les replacer dans le cadre de leur temps, comparer, par exemple, la jurisprudence des rabbins de Babylone ou de Tibériade aux lois des Francs ou des Visigoths, ou mieux encore, aux Pandectes de Justinien, car le Talmud est, avant tout, un corpus juris. Force nous est bien alors de reconnaître que l’avantage n’est pas toujours aux chrétiens[1].

« La Ghémara nous offre, le plus souvent, l’apparence d’une mer infinie de discussions, digressions, récits, légendes[2]. » Au sein de cette « mer talmudique, » comme disent les docteurs, on distingue deux courans, tantôt parallèles, tantôt opposés, qui se croisent en tout sens. Le premier se nomme Halakha, — règle, norma ; le second s’appelle Haggada, — légende, saga, recueil des on-dit de toute sorte sur toute question. La Halakha seule peut faire loi. Culte, dogme, morale, législation civile ou religieuse, elle seule fait autorité, comme expression de la loi orale qui complète la loi écrite, de cette loi orale que les docteurs prétendaient faire remonter également à Moïse et au Sinaï et que, jusqu’à la fermeture des écoles juives, il était, dit-on, interdit de mettre par écrit. La Haggada, au contraire, dans son infinie variété, avec ses récits édifians, ses allégories, ses fables orientales, ses homélies, ses curiosités scientifiques, ses discussions astronomiques ou médicales, ses recettes magiques ou pharmaceutiques, la Haggada, pour nous la partie la plus curieuse du Talmud, est, pour le juif, sans autorité[3]. Elle ne saurait faire loi. « On ne décide pas d’après la Haggada, » est-il dit dans le Talmud même. On ne saurait, d’après elle, « ni permettre, ni défendre ; ni déclarer pur, ni déclarer impur. » Cette distinction de la Halakha et de la Haggada, on en sent l’importance ; qui veut citer le Talmud doit se garder de les confondre, par ignorance ou par calcul.

Le Talmud, en plus d’une page, témoigne de peu de tendresse pour les goïm ; mais que sont ces goïm maudits par le Talmud ?

  1. On sent souvent, du reste, dans les décisions des rabbis du Talmud, l’influence du droit romain.
  2. Arsène Darmsteter : Reliquiœ, le Talmud. Cerf, 1890.
  3. Voyez, par exemple, Derembourg, art. Talmud, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger.