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évangéliques. L’antisémitisme ne saurait se réclamer du christianisme : la haine contre les juifs s’inspire, non du sentiment chrétien, mais d’instincts antichrétiens.

Aussi la croix du Golgotha n’est-elle pas tout le grief du chrétien contre le juif. L’esprit de vengeance et les pieuses rancunes contre les bourreaux du « Fils de l’Homme » ne sont pas les seules prises que la religion puisse offrir aux ennemis des juifs. A défaut de l’Évangile, ils recourent au Talmud. Les alimens que refuse à leur passion le christianisme, beaucoup prétendent les trouver dans le judaïsme. Ils s’en prennent à ses traditions, à ses rites, voire à sa morale.

Il serait d’un ignorant de nier l’importance de la religion et des traditions juives chez les juifs. Le Français, qui ne connaît que les juifs de Paris, s’imagine volontiers que le judaïsme est une religion finie. Il n’en est rien. Les juifs croyans et pratiquans, les juifs judaïsans sont encore nombreux. En Europe même, ils sont assurément en majorité. En dépit de ses trente ou quarante siècles, la vieille loi n’est ni morte, ni mourante. Pour voir quelle vie lui reste, il n’y a qu’à entrer, au coucher du soleil, dans les noires synagogues de Hongrie ou de Pologne, tout éblouissantes de lumière, quand le hasan, la tête couverte du talet, entonne le chant du Sabbat. La pratique a beau en être malaisée, les rites et les observances d’Israël sont peut-être plus fidèlement observés que ceux d’aucune église chrétienne, quoique, pour des causes analogues, le respect des pratiques cérémonielles tende à diminuer chez les israélites, comme chez les chrétiens. A prendre les centres de la vie juive, on pourrait dire que le juif est encore le plus religieux des hommes. Il est vrai que, pour faire de lui le plus indifférent, il semble souvent qu’il n’y ait qu’à le changer de milieu.

C’est le judaïsme, oserais-je dire, qui a fait le juif. Il a été le moule où ont été coulés, durant des générations, les fils d’Israël. Aussi, pour bien connaître le juif, faudrait-il connaître la religion qui l’a formé, le judaïsme talmudique, avec ses croyances, ses traditions, son rituel minutieux. L’étude en vaudrait la peine ; peut-être la tenterons-nous quelque jour. Il serait curieux de rechercher en quoi le judaïsme et la morale juive diffèrent du christianisme et de la morale chrétienne. Ils se ressemblent et ils diffèrent comme la Bible et l’Évangile. Là même où elles sont d’accord, où toutes deux disent même chose, il y a, entre l’ancienne loi et la nouvelle, une différence d’accent, je ne sais quoi de plus tendre, de plus suave chez la fille que chez la mère. Un juif dirait que l’une est plus féminine, l’autre plus virile ; que si l’une semble plus divine, l’autre est plus humaine ;