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révolution française croyait bien légiférer pour l’humanité. La prétention, cette fois au moins, n’était pas vaine. Le décret de la constituante a fait son tour du monde. Des kaour du Maghreb africain aux campemens des steppes de l’Asie, les tentes de Jacob ont retenti de l’écho de la salle du Manège. Ce 27 septembre 1791, qui ne nous rappelle rien, à nous chrétiens, est une des dates cosmopolites de la révolution. C’est le 14 juillet de toute une race ; et la bastille renversée en cette pâle journée d’automne avait de plus hautes et plus vieilles murailles que celle du faubourg Saint-Antoine. Voici encore un centenaire ; de tous ceux que nous a légués la révolution, aucun peut-être ne sera célébré en plus de langues mortes ou vivantes.

Heureuse ou néfaste, la France a pris, en septembre 1791, une initiative qu’ont suivie successivement presque toutes les nations. À vrai dire, elles n’y ont pas mis grande hâte. La plupart ne nous ont imités qu’à long intervalle, et, comme pour une besogne qui répugne, en s’y reprenant à plusieurs fois. L’Angleterre n’a achevé l’émancipation de ses juifs qu’en 1849 et 1858 ; le Danemark, qu’en 1849 ; l’Autriche-Hongrie, qu’en 1867 ; l’Allemagne, en 1869 et 1871 ; l’Italie, en 1860 et 1870 ; la Suisse, en 1869 et 1874 ; la Bulgarie et la Serbie, en 1878 et 1879. La Russie et la Roumanie à une extrémité de l’Europe, l’Espagne et le Portugal à l’autre, sont seuls à n’avoir pas encore suivi notre exemple.

Si tardives ou timides que fussent, à cet égard, les décisions des gouvernemens étrangers, la question, pour nous, Français, était bien définitivement tranchée, et cela, pour le globe, en même temps que pour la France. C’était, personne n’eût osé le contester, un des résultats acquis de la révolution. Il n’y avait plus, à nos yeux, de question juive. Et voilà qu’avant qu’un siècle fût écoulé, ce qui semblait accepté de tous les États modernes était, autour de nous et chez nous-mêmes, bruyamment remis en question. Encore un problème que les générations antérieures croyaient à jamais résolu et qui vient, de nouveau, se poser devant les générations nouvelles. Comme il arrive souvent, la réaction contre l’œuvre de la révolution se produit à l’heure même où cette