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d’une nation libérale. Le prince Baudouin semblait fait tout exprès pour resserrer le lien entre la famille royale et le peuple belge. Un souffle d’hiver a suffi pour détruire ces espérances ; le jeune prince a succombé, presque avant qu’on le sût malade, dans le palais paternel où sa jeune sœur, la princesse Henriette, était elle-même en danger. Le coup a été d’autant plus douloureux, il a été d’autant plus vivement ressenti, qu’il ne reste plus que le second fils du comte de Flandre, le prince Albert, un enfant de quinze ans, dernier et unique héritier de la dynastie. On n’a point sans doute, dès aujourd’hui, à regarder si loin ; il n’est cependant pas surprenant que la Belgique, en s’associant d’un mouvement spontané aux épreuves de ses souverains, ait eu comme un vague sentiment d’un avenir devenu plus mystérieux, et que ce deuil de famille ait paru être un événement qui pourrait avoir son importance politique.

Cette mort si cruelle et si imprévue d’un jeune prince, promis au règne, est bien faite sans doute pour éclipser momentanément les agitations révisionnistes, qui remuent depuis quelque temps la Belgique. Ce mouvement n’est point cependant sans gravité et il répond à trop de sentimens, à trop d’instincts divers, pour être facilement conjuré ou détourné. Au fond, de quoi s’agit-il ? Beaucoup de Belges de tous les camps pensent que le régime censitaire a fait son temps, que les 133,000 électeurs qui ont eu jusqu’ici le monopole du pouvoir politique ne suffisent plus, que le moment est venu d’étendre le suffrage, et la première condition est de réviser la constitution, souveraine régulatrice du droit électoral. Seulement, dans quelle mesure se réalisera cette révision ? quel sera le principe de la réforme, quelle sera l’extension du nouveau droit électoral ? Ira-t-on jusqu’à introduire le suffrage universel dans les institutions nationales de la Belgique ? C’est là le problème, c’est ce qu’il y a d’énigmatique dans ce mouvement, qui a visiblement son origine dans les aspirations démocratiques d’une partie du pays, qui a déjà ses chefs.

Au premier abord, dès que la question a fait son apparition jusque dans le parlement, il y a eu un semblant d’accord ; on a tout au moins témoigné, dans les divers partis, une égale bonne volonté libérale et réformatrice. L’idée d’une extension du droit électoral a été ou a paru être facilement admise. Le ministère lui-même, tout conservateur et catholique qu’il soit, n’a opposé aucune résistance. Le chef du cabinet, M. Bernaert, qui est un homme avisé et un tacticien habile, a pensé sans doute que le meilleur moyen d’enlever aux agitateurs révolutionnaires un mot d’ordre dangereux était de prendre lui-même l’initiative de la réforme, de désintéresser le vœu public par une satisfaction légitime. Malheureusement, la difficulté est toujours d’arriver à des idées précises, à des combinaisons pratiques. A peine a-t-on touché à cette question brûlante, les dissidences n’ont pas tardé à éclater. Dans le