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qui sont l’organisme vivant et permanent de la puissance militaire, on n’a rien fait. Qui commencera, qui donnera le signal dans l’état de l’Europe et du monde ? Ce n’est pas la France, qui ne s’est armée que pour se protéger. Ce n’est pas l’Allemagne, qui croit avoir besoin de sa puissance militaire pour maintenir ses conquêtes. Ce n’est pas la Russie, qui a les plus graves intérêts en Orient et même dans l’Occident. Ce n’est pas l’Autriche, qui craint toujours la prépondérance russe dans les Balkans. Et voilà pourquoi ce mot de désarmement qui revient parfois comme un mirage ne répond à rien de bien sérieux. Ce qu’il y a de mieux encore pour sauvegarder la paix, c’est la prudente réserve des gouvernemens qui sentent bien le danger de nouveaux conflits légèrement provoqués ; c’est aussi la solidarité d’intérêts qui unit plus ou moins les peuples, plus que jamais occupés aujourd’hui de leur commerce, de leur industrie, de leurs réformes, de leur repos intérieur.

La vérité est qu’en dehors du désarmement, qui n’est qu’un mot, les affaires sérieuses ne manquent nulle part, pas plus en Allemagne que dans les autres pays, que l’empereur Guillaume soulève assez de questions pour donner du travail autour de lui, et que le parlement de Berlin, depuis qu’il est réuni, n’a que le choix des discussions. Le parlement de Berlin a devant lui les projets financiers de M. Miquel, la réforme communale de M. de Herrfurth, la loi scolaire de M. de Gossler, le régime douanier, objet d’une récente interpellation de M. Richter, la loi qui restitue au clergé catholique les traitemens confisqués pendant le Kulturkampf. Quelle est au juste la politique du gouvernement dans ces débats ou dans ces projets ? Elle se ressent visiblement de l’humeur impatiente d’un souverain qui tient à faire sentir sa volonté et n’a peut-être pas des idées bien fixes ; à en juger par les apparences, elle est un peu flottante, un peu décousue dans ses allures et a l’air de chercher une direction dans les conseils, une majorité dans le parlement. Elle est tour à tour, à ce qu’il semble, conservatrice, libérale, protectionniste, socialiste, manœuvrant entre les partis, avançant ou reculant selon les circonstances.

A travers tout, un des épisodes les plus curieux, les plus originaux de ces affaires de Prusse et d’Allemagne, c’est certainement la loi qui vient d’être proposée pour la restitution des traitemens ecclésiastiques saisis pendant la campagne du Kulturkampf. Cette fois, c’est bien fini ! la dernière étape du voyage à Canossa est franchie ! Le gouvernement s’est exécuté ! On peut dire que c’est surtout la victoire d’un homme dont on célébrait récemment le quatre-vingtième anniversaire, de celui qu’on appelle encore la « petite excellence, » de M. Windthorst, qui, depuis plus de dix ans, manœuvre avec autant de ténacité que d’adresse à la tête de sa petite armée du centre catholique, obligeant les ministres, M. de Bismarck lui-même, le nouveau règne comme l’ancien, à