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l’interdiction de Thermidor. Et c’est pour cela, c’est devant la menace de cette poignée d’agitateurs, que le gouvernement, au risque de se désavouer, s’est cru obligé de livrer la liberté de l’art, les intérêts de l’auteur et du théâtre, — sans compter sa propre dignité !

Que le gouvernement ait obtenu hier, au Palais-Bourbon, d’une majorité peut-être peu convaincue, son blanc-seing ou son bill d’indemnité dans un ordre du jour qu’il demandait, peu importe : une crise ministérielle ne réparerait rien. Le fait évident, c’est que le gouvernement, après avoir trop souvent plié, vient de prouver une fois de plus qu’il ne reste, comme il le dit, le gouvernement du parti républicain qu’en cédant aux violens et aux exclusifs. C’est toute la question ; c’est ce qui fait de cette aventure une affaire qui dépasse les proportions d’une simple représentation de théâtre. C’est le signe d’une situation. Chose curieuse ! à suivre, depuis l’ouverture de la session, certaines discussions, certains votes où les partis se sont confondus à l’appel de M. le ministre de l’intérieur ou de M. le ministre des affaires étrangères, on aurait pu croire que les divisions commençaient à s’atténuer dans cette chambre encore nouvelle. Un ou deux incidens comme ceux dont on vient d’être témoin suffisent pour remettre à nu les incohérences d’idées, les faiblesses de gouvernement, le travail obstiné des passions contre la politique de prévoyance et de paix morale à laquelle il faudra bien arriver pour l’honneur et le profit de la France !

Si l’Europe pour sa part est toujours dans une de ces situations fatalement indécises, où elle est obligée de veiller sans cesse sur elle-même, de rester sur ses gardes, il n’est pas moins vrai qu’elle vit à travers tout sans trouble, sans avoir perdu depuis assez longtemps son repos et sa sécurité. Non-seulement elle vit, elle s’accoutume de plus à cette paix ou à cette trêve qui trouve peut-être sa meilleure garantie dans ce vaste travail de réformes intérieures engagé de toutes parts pour le profit des peuples. Elle a vu passer tant d’incidens de diplomatie agitatrice, tant de faux bruits, tant de paniques factices et de vaines menaces de conflagrations universelles, qu’elle ne s’émeut plus facilement. Elle compte sur la protection des dieux, des empereurs et des diplomates bien inspirés ! Ce n’est pas, malheureusement, que tout soit pour le mieux, que les élémens de perturbation manquent dans ce vieux monde de l’Occident et de l’Orient : ils sont partout, ces élémens qu’on appelait autrefois les allumettes destinées à mettre le feu au monde ; ils peuvent à tout instant faire explosion, on le sait bien, on ne peut l’oublier. Une seule chose est certaine et sensible : il y a visiblement, à la surface du continent, un courant pacifique formé de tous les vœux, de tous les intérêts des peuples ; il y a aussi ce qui fait précisément que l’Europe se croit ou se sent obligée de rester sur ses gardes. C’est, en un mot, une sorte de conflit perpétuel entre les