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d’espérance et sans le sou, et de les envoyer courir de redoutables aventures sans qu’ils se doutent de ce qui les attend. Mettez plutôt un enfant au milieu d’une terre fraîchement ensemencée, et dites-lui d’y trouver sa vie. » Tel ce pauvre commis anglais, débarqué un matin à Paramatta, dans la Nouvelle-Galles du Sud. On n’y avait pas besoin de commis ; il chercha vainement un emploi, frappa à toutes les portes. À bout de ressources, il fut plusieurs jours sans manger. Une nuit, dans son effroyable détresse, il s’arma d’une brique et parvint à briser un carreau dans la devanture d’une boutique de joaillier. Il n’essaya pas de rien voler. Il s’assit par terre, attendant l’arrivée d’un constable. Quelques heures se passèrent, enfin le constable arriva. Il se dénonça, se livra et fut emmené au violon. « Au moins, dit-il, j’aurai quelque chose à manger. » On l’a condamné à douze mois d’emprisonnement, il est encore sous les verrous.

C’est dans la colonie agricole de M. Booth que les futurs émigrans acquerront toutes les aptitudes, toutes les connaissances utiles, qu’ils apprendront l’agriculture, le jardinage, les métiers, les industries qui seront plus tard leur gagne-pain. Comment recrutera-t-il ses pensionnaires ? Par un procédé de sélection. Il entend créer au préalable des colonies urbaines, c’est-à-dire de grands ateliers pareils à ceux qu’il a déjà fondés, où l’on donnera de l’ouvrage aux ouvriers qui n’en ont pas et le goût du travail aux paresseux. Avec le temps, une partie de ces ouvriers sera placée chez des patrons, les autres seront transportés dans la colonie agricole, vaste ferme accompagnée d’un village industriel.

Les jésuites avaient appris aux sauvages du Paraguay à semer, à labourer, à cuire la brique, à bâtir des maisons, à percer des routes dans les forêts et à les entretenir. Les ouvriers de chaque profession travaillaient en commun, sous les ordres de leurs surveillans, nommés par le fiscal, et le supérieur était averti de tout ce qui se passait, de leurs actions bonnes ou mauvaises, de leurs moindres propos. On leur fournissait le chanvre, le coton, la laine, les instrumens de labour, les grains pour la semence. On déposait la récolte dans des greniers publics, on distribuait à chaque famille ce qui était nécessaire à sa subsistance, on vendait le reste à Buenos-Ayres et au Pérou. Les habitans du Paraguay étaient à la fois très gouvernés et très heureux, et tel sera le sort des colons de M. Booth. Ils seront logés, grassement nourris, vêtus, chauffés, mais ne toucheront aucun autre salaire que de temps à autre quelques pence, à titre d’encouragement. Ils s’engageront à s’abstenir de toute boisson fermentée, et on ne leur permettra que des jeux innocens. Quand ils auront terminé leur apprentissage et leurs études, les uns se placeront dans quelque comté d’Angleterre comme jardiniers ou fermiers, les autres s’embarqueront pour la