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la vérité, nul ne s’est moins soucié que lui de « punir le vice, » ou de « récompenser la vertu ; » mais nul n’a plus scrupuleusement évalué les actions humaines à leur taux moral, ni guidé son lecteur d’une main plus sûre en même temps que plus discrète vers un juste discernement de ce qui fait l’honneur des hommes et la vertu des femmes. Il n’a point hésité à faire mourir le commandant du Pas-Devant de Frémeuse ou Mme de Vaudricourt, parce que cela était conforme à la logique de leur situation et à la vérité de la vie. Il n’a point hésité davantage à laisser vivre Mme de Talyas ou Mme de Maurescamp, parce qu’en réalité l’audace même des « monstres » leur assure l’impunité. Mais, sans presque en avoir l’air, il a déterminé le jugement que nous devions porter sur les uns et sur les autres, et c’est là toute la morale. Je veux dire qu’en tout temps la quantité du mal étant toujours égale à elle-même parmi les hommes, la seule chose qui importe, c’est de savoir appeler le mal par son nom et de ne pas inventer, comme avait fait le romantisme, en faveur du vice ou du crime, des excuses qui finissent, tôt ou tard, par devenir des justifications. En ce sens, on retrouve dans sa dernière manière le souvenir de sa première, et la fin de son œuvre en rejoint le commencement.

C’est qu’il avait l’âme noble et naturellement haute. Lorsqu’il est mort, presque subitement, voilà tantôt un mois, ceux-là mêmes qui n’ont point pour son œuvre l’admiration et la sympathie qui sont les nôtres n’ont pu s’empêcher de louer en lui « le galant homme, » et de rendre au nom d’Octave Feuillet l’hommage qu’ils refusaient à l’auteur de Monsieur de Camors. Si les mots ont un sens, je voudrais donc qu’on m’expliquât une fois, — lorsqu’un « galant homme, » après tant de succès, laisse derrière lui une œuvre aussi considérable et, pendant quarante ans, si manifestement inspirée du même esprit, — je voudrais que l’on m’apprît comment les qualités de son caractère n’auraient point passé jusques à son talent. Eh oui ! sans doute, nous le savons, ni le talent n’est toujours à la hauteur du caractère, ni non plus le caractère à la hauteur du talent. Mais qu’entre l’un et l’autre il n’y ait rien de commun, que la vulgarité du talent n’ait pas souvent sa cause dans la bassesse du caractère, ou, réciproquement, que la dignité de la vie ne se retrouve pas dans le caractère de l’œuvre, c’est ce qu’il nous est impossible d’admettre ; et, — je n’en ai pas fait le compte, — mais c’est de quoi je doute que l’on trouvât un exemple. La disjonction ne va pas jusque-là. Laissons le style, qui n’est pas aussi propre à l’homme qu’on le prétend quelquefois encore, où il peut d’ailleurs entrer trop d’école et de procédés, qui n’a toujours été qu’un moyen pour Feuillet, et jamais une fin. Je dis