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s’imprimait à Utrecht, Descartes, par une indiscrétion plus facile à expliquer qu’à approuver, recevait les épreuves en même temps que l’auteur, qui ne l’avait ni ordonné, ni permis, et dont il ignorait même le nom. Descartes ne l’apprit que par la page du titre qui, suivant la coutume, est tirée la dernière : c’est lui qui le raconte. Le nom de Schoockius fut sans doute effacé, car il ne figure pas sur le titre.

Descartes, grâce à cette indiscrétion, imprimait la réponse en même temps que l’attaque ; ne voulant pas la perdre, il se borna à expliquer, à la fin seulement, par quel accident il s’est mépris sur le nom de son adversaire.

Dans le cours de la même discussion, il disait à Voet : « Vous n’avez jamais vu ma philosophie, puisque je ne l’ai pas encore publiée, vous ne pouvez donc pas la connaître. » Voet aurait pu lui répondre : « Vous avez bien connu le livre de Schoockius avant qu’il fût publié ! »

Pendant que Descartes poursuivait à Groningue le livre de Schoockius devant le Sénat académique, Voet poursuivait la réponse de Descartes devant le tribunal d’Utrecht : ils obtinrent des succès différens.

La lettre de Descartes fut interdite et publiquement brûlée par la main du bourreau. Faut-il reprocher au tribunal une complaisance coupable pour l’adversaire du grand philosophe?

La lettre condamnée ne traitait aucune question de science ou de philosophie ; les juges ordinaires étaient compétens. Le livret était-il injurieux pour le chef d’une grande Université? La réponse est facile. On n’avait pas même à demander si l’auteur, usant de représailles comme il l’affirmait, repoussait d’odieuses calomnies. Voet ne s’avouait pas et n’était pas l’auteur de la Philosophia cartesiana. S’il avait donné quelques conseils, le tribunal n’en pouvait rien savoir. Les thèses sur l’athéisme étaient, il est vrai, signalées comme un premier grief, mais le nom de Descartes n’y était pas prononcé, et la désignation très claire qui le remplace ne s’associe à aucune injure.

Les juges, en ouvrant la lettre de Descartes, y ont aperçu tout d’abord l’allusion à la basse extraction de Voet, fils d’un goujat, élevé au milieu des filles de joie, sans qu’elle fût assez claire pour en faire un délit.

Mais en rencontrant cette apostrophe à Voet, qui n’avait rien écrit contre lui: « Croyez-moi, monsieur Voet, tout lecteur éclairé reconnaîtra qu’en écrivant cet ouvrage, vous étiez tellement possédé de la rage de nuire que vous n’avez pas aperçu ce qui convenait à votre position et à votre caractère, ni ce qui était vrai, ni même