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digérée, ce rejeton, le corps, se forme, grandit. Et quelle pourrait être sa racine, sinon la terre et la nourriture. Et comme la terre et la nourriture sont des rejetons, cherche leur racine. C’est l’eau. Et la racine de l’eau est le leu. Et le feu aussi est un rejeton, et sa racine est le Véritable. »

Oui, toutes ces choses ont leur racine dans le Véritable, habitent dans le Véritable, reposent dans le Véritable.

Quand un homme quitte ce monde, sa parole s’absorbe dans son esprit, son esprit dans sa respiration, sa respiration dans la chaleur, la chaleur dans l’être le plus élevé.

Et cette chose, cette essence subtile, la racine de tout, en elle tout ce qui existe a son être. Elle est le Véritable. Elle est l’Être, et toi-même, ô Svetaketu, tu es cet Être !

— Mon seigneur, veuillez m’instruire encore, dit le fils.

— Soit, dit le père.

Les rivières, mon enfant, coulent les unes vers l’Orient, comme la Ganga, les autres vers l’Occident, comme le Sindhu.

Elles vont de la mer à la mer (c’est-à-dire elles s’élèvent de la mer en nuages et y retournent en rivières). Elles deviennent véritablement la mer. Et de même que ces rivières, lorsqu’elles sont dans la mer, ne disent plus : « Je suis cette rivière-ci, ou cette rivière-là, »

De même, mon enfant, toutes les créatures, quand elles sortent du Véritable, ne savent pas qu’elles sortent du Véritable.

Cette chose, cette essence subtile, en elle, tout ce qui existe a son être. Elle est le Véritable, elle est l’Être lui-même, et toi-même, ô Svetaketu, tu es cet Être.

— Mon seigneur, veuillez m’instruire encore, dit le fils.

— Soit, dit le père[1].

Un homme fut enlevé à son pays par des voleurs. Ses yeux ayant été bandés, il fut conduit dans une forêt pleine de terreurs et de dangers. Et ne sachant où il était, il se prit à pleurer, souhaitant d’être délivré de ses liens. Alors un passant eut pitié de lui, coupa ses liens, et le renvoya dans sa patrie, heureux.

Notre patrie est l’Etre, le roi du monde. Ce corps fait de trois élémens : le feu, l’eau, la terre, assujetti à la froidure et à la chaleur, est une forêt dans laquelle nous sommes égarés. Et les bandeaux qui nous couvrent les yeux sont nos désirs pour bien des choses réelles ou irréelles, nos femmes, nos enfans, nos bestiaux ; et les voleurs qui nous ont conduit dans la forêt sont nos actions. (Les actions de la vie antérieure qui nous ont valu la transmigration au lieu de l’anéantissement dans Brahma.)

  1. Ici le texte est développé par un commentateur.