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contre lui. » Voet n’avait pas à se plaindre cette fois qu’on trahît la vérité en l’appelant homme de bien. Occupé cependant d’une polémique contre les magistrats de la ville de Bois-le-Duc, et croyant peut-être par modestie, cela est peu vraisemblable, que les doctrines cartésiennes seraient plus aisément vaincues par un adversaire plus habile, il engagea Schoockius, son ancien élève, professeur à Groningue, à relever le gant. Il le fit venir à La Haye, l’invita à un repas dans lequel étaient réunis à des défenseurs célèbres de la philosophie ancienne, des personnages importans dans la ville. On déplora l’oubli des traditions en vantant l’honneur réservé à leurs défenseurs. Schoockius, encouragé à prendre la plume, flatté de la confiance de ses anciens maîtres et loué de ses bonnes intentions, promit une réfutation, non-seulement de la lettre au père Dinet, mais des Méditations de Descartes. Il composa un livre de plus de trois cents pages, dans lequel, suivant la coutume du temps, le rhéteur, croyant l’égayer par des traits d’esprit, injuriait l’œuvre sévère du philosophe. Descartes avait donné l’exemple qui, pour les pédans innombrables que les universités fabriquaient par milliers, n’avait malheureusement rien de nouveau.

Voet, comme il l’avait promis, prêtait son concours à Schoockius, il revoyait les épreuves, changeait des phrases et des pages avec l’assentiment de l’auteur, quelquefois, a-t-on dit, sans prendre le temps de le consulter. Quelles sont ces phrases et ces pages? Schoockius a déclaré ne pas s’en souvenir. Peu importe, si, comme on l’a dit, le livre est infâme, Voet en est responsable à l’égal de Schoockius. Il ne semble pas qu’il le fût. Le ton de la préface est celui des pamphlets de l’époque. La réponse qu’y fit Descartes fut plus violente encore. Ni l’une ni l’autre ne devaient se faire remarquer dans la suite innombrable des attaques et des ripostes, familières alors aux philosophes et aux érudits. Les exemples seraient faciles à réunir. Saumaise a laissé un nom respecté. Dijon, sa patrie, a fait à sa mémoire, à une époque où l’on en avait moins abusé qu’aujourd’hui, l’honneur de donner son nom à l’une de ses rues. Sorbière parle de lui en ces termes :

« Saumaise est véritablement trop bilieux et trop colérique, il a le sentiment trop aigu, il se pique du moindre mot et entre trop aisément en fureur. Il n’y a pas moyen d’être tant soit peu dissentant de ses opinions sans devenir un ignorant, une bête ou bien un fripon et un méchant homme, et il se faut résoudre, pour peu qu’on veuille lui résister, à recevoir dix mille injures qui attaquent la personne. »

Pour qui n’est pas décidé d’avance à flétrir sans examen, par respect pour le grand philosophe, les esprits médiocres qu’il dépasse