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l’âme, étant distincte du corps, aurait pu ne lui être jamais associée. Un accident a uni ces natures dissemblables et procuré le pouvoir de l’une sur l’autre.

Cette décision dure, odieuse et contraire à la foi, fit disparaître la confiance de Voet. La facilité se changea en rigueur. L’idée de faire de l’homme un être par accident mit l’Université en rumeur. En l’entendant énoncer, l’auditoire, révolté, mêla des clameurs furieuses à d’ironiques applaudissemens. Régius, conciliant en paroles, se rendit chez Voet, protestant de son respect pour la religion et offrant, pour l’impression de sa thèse, toutes les corrections qu’on jugerait utiles. Mais Voet était sur son terrain : le mouvement de la terre et la circulation du sang étaient la querelle commune, il y représentait ses collègues ; sur l’être par accident, le défi s’adressait à lui-même. Impatient de répondre, il compose de nouvelles thèses et les met sans tarder en discussion, en ayant soin d’introduire, dans le titre, pour la condamner, l’expression d’être par accident. Dans un poème satirique, on chante ces graves dissentimens ; Régius y était clairement désigné par ces mots : O. Regium factum, et l’influence de Descartes diffamée par ce vers, signalé comme une injure atroce :


Simia mendacis galli, mendacior ipse.


Les convenances, qui changent avec le temps, ont toujours permis les duretés dites avec esprit. Lorsque Paul-Louis Courier a félicité Jomard d’entrer à l’Académie comme dans un moulin, les honnêtes gens ont beaucoup ri. Après soixante ans, quand ils y songent, il leur arrive d’en rire encore. On aurait blâmé et oublié Courier si, traduisant clairement sa pensée, il avait écrit : Mon concurrent n’est qu’un âne. Au XVIIe siècle, cela se disait. L’œuvre de l’écolier d’Utrecht paraissait à ses contemporains spirituelle et modérée. Descartes en jugeait autrement, mais il devait savoir que Voet n’y pouvait rien.

Tels sont les débuts de la querelle célèbre dans l’histoire du cartésianisme et les actes du premier martyr. Il est injuste de blâmer Voet et difficile de condamner Régius. L’incident reste sans importance; et si Régius, enivré de Descartes et de lui-même, n’avait pas maintenu le droit d’étendre son enseignement jusqu’à attaquer ses collègues, il n’aurait eu sans doute aucune suite. Descartes lui conseillait d’accepter tous les accommodemens. Le récit qu’il voulut publier blesse toutes les convenances, il est en partie du style de Descartes, qui, malgré les conseils de prudence, consentit à revoir la rédaction.