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borné, une action plus utile et plus illustre. On applaudissait ses leçons. Les vieux maîtres, offensés, envieux a-t-on dit, dénoncèrent ses écarts. Le magistrat jugea, s’il faut en croire Descartes, que, si les nouvelles opinions étaient vraies, il ne fallait pas en défendre l’enseignement, et que, si elles étaient fausses, il n’en était pas besoin, parce qu’en peu de temps elles se détruiraient d’elles-mêmes. Cette assemblée élue, qu’on nommait le magistrat, en plâtrant, au nom de principes aussi libéraux, une paix qui ne pouvait durer, devançait de plusieurs siècles son époque et même la nôtre. Jamais on n’a accordé, dans les universités, une liberté sans limite en se fiant à l’auditoire, qui, de lui-même, se tournera vers la vérité. Que dirait aujourd’hui, malgré les progrès accomplis, le doyen de la Faculté des Sciences de Paris, si le professeur d’astronomie, renonçant au système de Copernic, démontrait à ses auditeurs que la terre ne tourne pas? Il aviserait, avec le recteur, aux moyens de faire cesser un tel scandale. La question de droit est identique. Ainsi ferait M. Darboux avec non moins de raison que Voet, si le professeur de physique s’avisait en 1891, comme Régius en 1651, d’enseigner la théorie des météores et la dioptrique de Descartes, en en acceptant les principes. On ne peut, dans une chaire officielle, autoriser chacun à enseigner la doctrine qu’il préfère, quelle qu’elle soit, c’est-à-dire supprimer tout contrôle. Régius, qui, sur les questions scientifiques, enseignait des erreurs et des absurdités, laissait, au milieu des ténèbres, apercevoir parfois quelques lueurs. Le recteur n’avait pas à s’en informer, son devoir était de maintenir les limites.

Régius, intraitable d’ailleurs, en protestant de sa soumission, mettait tous les torts de son côté. Voet, devenu recteur, témoigna d’abord à Régius beaucoup de bienveillance et d’amitié. Il approuvait, sans y rien mêler que des observations raisonnables, — Descartes alors ne faisait pas difficulté de le lui écrire, — les thèses publiques que, suivant la méthode d’enseignement adoptée alors, le professeur de médecine exerçait ses élèves à soutenir. Régius abordait des sujets de plus en plus éloignés de son enseignement régulier. Les nouvelles doctrines triomphaient, par ses soins, dans toutes ses disputes. Régius assistait même, — comme c’était le droit de tous, — aux disputes présidées par ses collègues; et, quand les novateurs faiblissaient, il prenait la parole pour les défendre.

Régius soumettait au recteur avec une déférence irréprochable toutes les thèses discutées sous sa présidence. Le contrôle n’était qu’apparent. Voet n’avait dans l’esprit aucun dessein de guerre, il se reconnaissait incompétent et se montrait indifférent aux problèmes