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un peu son rôle. Il est certain d’ailleurs que les affaires portugaises se sont un peu éclaircies ou simplifiées depuis un an, depuis le jour où l’Angleterre mettait le petit royaume dans la situation la plus pénible par son brutal ultimatum, au sujet de la délimitation des possessions africaines sur le Zambèze et sur le Chiré. Un instant, on s’en souvient, une crise violente éclatait à Lisbonne. L’ultimatum anglais, en humiliant la fierté nationale, n’avait pas seulement pour effet de renverser sur le coup un ministère ; il mettait le roi dom Carlos dans le plus cruel embarras pour refaire un cabinet. Il enflammait les esprits, il déchaînait les passions et, profitant de la circonstance, les républicains portugais, peu nombreux, mais ardens, se livraient à des agitations nouvelles, menaçantes pour la dynastie de Bragance. Depuis, avec un nouveau ministère, les choses se sont un peu apaisées. On s’est efforcé de gagner du temps. On a négocié avec l’Angleterre, et si on n’est pas arrivé à un dénoûment, on a obtenu une sorte d’arrangement provisoire qui maintient l’état actuel des possessions, en attendant la solution définitive de ces obscures questions.

C’était, si l’on veut, ce qu’il y avait de mieux à faire. Malheureusement, le cabinet de Lisbonne et lord Salisbury ne sont pas seuls en tête-à-tête. Pendant qu’on négocie, les incidens se succèdent en Afrique et compliquent tout. La compagnie anglaise du Sud africain, qui a de sérieux appuis à Londres, jusque dans la famille royale, qui a de plus l’avantage d’avoir pour directeur le premier ministre de la colonie du Cap, poursuit sa marche par la force ; elle étend ses possessions, au risque de provoquer des incidens, et lord Salisbury, fût-il lui-même disposé à la conciliation, est pressé par cette puissante compagnie, par les journaux qui la soutiennent. L’infortuné Portugal n’a, d’ailleurs, plus de chances dans cette terrible Afrique. Il n’a pas seulement à se débattre avec l’Angleterre pour des territoires qu’il croyait posséder depuis des siècles ; il est peut-être menacé de quelque démêlé avec l’Allemagne. Il a aujourd’hui des différends territoriaux avec l’état du Congo protégé par la Belgique ; mais ici, avec des médiations et des arbitrages qui sont déjà acceptés, tout est plus facile à régler que la querelle avec l’Angleterre. C’est la seule sérieuse : comment se terminera-t-elle ? Le roi dom Carlos peut se faire encore illusion et témoigner de la confiance dans son dernier discours. Le Portugal sera vraisemblablement obligé de céder beaucoup pour garder ce qui lui restera, et ce sera un exemple de plus, non pas le premier ni le dernier, de la faiblesse réduite à plier devant la force, — le tout dans l’intérêt bien évident de la civilisation du continent noir !


CH. DE MAZADE.