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d’être suspect dans son propre parti. Les républicains les plus modérés en sont là. Qu’en résulte-t-il ? C’est qu’on maintient une situation où la république, au lieu d’être un gouvernement régulier et fixé, reste un régime de guerre et de combat, soumis par suite à toutes les chances de la guerre. C’est tout simplement la prolongation de l’état révolutionnaire. En est-on plus avancé ?

Le malheur des républicains, en effet, est d’être entrés dans les affaires sans avoir pu se dégager encore de leurs habitudes révolutionnaires. Ils ont les majorités, c’est entendu ; ils ont le pouvoir, les ministères, les fonctions, le budget, la force administrative et militaire ; ils sont établis dans le régne, ils sont l’état, ils ne cessent de revendiquer les droits de l’état : au fond, ils sont restés des révolutionnaires dans leurs idées et dans leurs procédés, dans leur politique, dans leur manière d’entendre les lois, les institutions parlementaires de la république. Et, quand on cherche parfois pourquoi, en dépit de tous les succès de scrutin, il y a toujours un sentiment vague d’incertitude, à quoi tiennent ces instabilités, ces crises obscures, ces débats stériles, ces confusions qu’on va revoir peut-être dans la session ouverte d’hier, la raison est bien simple : c’est que nous n’avons pas le vrai régime parlementaire, ou du moins, que nous n’avons qu’un régime parlementaire faussé et dénaturé par l’esprit d’un parti resté révolutionnaire. La constitution dit qu’il y a deux assemblées qui ont des droits égaux, et un pouvoir exécutif, qui a, lui aussi, ses prérogatives. Cela signifie, pour les partis, qu’il n’y a qu’un seul pouvoir omnipotent, que les deux autres pouvoirs sont effacés et subordonnés, qu’ils doivent même se résigner à leur rôle, s’ils ne veulent pas être supprimés. C’est là la réalité !

C’est le fait évident, sensible, qui depuis dix ans va par degrés en s’accentuant, en se développant. C’est la chambre, et la chambre à peu près seule, qui règne et gouverne par ses commissions, par ses interpellations, par ses interventions incessantes et remuantes dans les affaires, par une sorte de prépotence abusive qui s’étend à tout. Chaque année, c’est une habitude invétérée, elle garde le budget huit mois dans sa commission, laissant à peine huit jours au sénat pour exercer ses droits, et par le fait, le budget est un moyen de pénétrer dans l’intimité des bureaux et dans les plus minutieux détails des services publics, de toucher à tout, à l’administration, à la justice, à l’armée, à la législation générale elle-même. À tout propos, par la voie indirecte d’un crédit supprimé et quelquefois d’un amendement improvisé, on change une loi permanente au risque d’ébranler toute une organisation. Par sa commission du budget, la chambre gouverne la fortune de la France comme elle s’introduit à tout instant dans bien d’autres affaires par toutes ces commissions de fantaisie qui sont allées gravement cet été inspecter des mines, s’immiscer dans les