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déclaration de guerre me mènerait sur-le-champ en France. Indépendamment de tous les liens de cœur qui m’attirent vers les personnes que j’aime, l’amour de ma patrie et l’envie de la servir étaient des motifs puissans. Je craignais même que les gens qui ne me connaissent pas pussent imaginer qu’une ambition de grades, un amour pour le commandement que j’ai ici, et la confiance dont on m’honore, m’engageraient à y rester quelque temps de plus. J’avoue que je trouvais de la satisfaction à faire ces sacrifices à mon pays et à tout quitter sur-le-champ pour voler à son service.... Vous allez apprendre ce qui m’a retardé et j’ose dire que vous approuverez ma conduite.

« La nouvelle de la guerre a été portée par une flotte française qui venait coopérer avec les troupes américaines ; on allait commencer de nouvelles opérations ; on était au milieu d’une campagne. Ce n’était pas le moment de quitter l’armée. D’ailleurs, on m’assurait de bonne part qu’il n’y aurait rien cette année en France... Je risquais, au contraire, d’être tout l’automne sur un vaisseau, et, avec le désir de me battre partout, de ne me battre nulle part. Ici, j’étais flatté de voir des entreprises faites de concert avec M. d’Estaing, et les personnes chargées des intérêts de la France, comme lui, m’ont dit que mon départ était contraire et mon séjour utile au service de ma patrie. Il m’a fallu sacrifier des espérances charmantes, reculer la réalisation des plus agréables idées. Enfin, mon cher cœur, le moment heureux approche où je vais vous rejoindre, et l’hiver prochain me verra heureusement réuni à tout ce que j’aime.... Je vous prie, mon cher cœur, de présenter mes plus tendres respects à M. le maréchal de Noailles. Il a dû recevoir les arbres que je lui ai envoyés... Embrassez mille et mille fois mes sœurs... Que vous écrirai-je, mon cher cœur? Quelles expressions ma tendresse pourra-t-elle trouver pour ce qu’il faudra dire à notre chère Anastasie? Vous les trouverez bien mieux dans votre cœur. Couvrez-la de baisers, apprenez-lui à m’aimer en vous aimant... Cette pauvre petite enfant doit me tenir lieu de tout. Elle a deux places à occuper dans mon cœur. C’est une grande charge que notre malheur lui a imposée : mais mon cœur me dit qu’elle la remplira autant qu’il lui est possible. Je l’aime à la folie...

« Adieu, mon cher cœur! Quand me sera-t-il permis de te revoir, pour ne te plus quitter, de faire ton bonheur comme tu fais le mien, de demander mon pardon à tes genoux! Adieu, adieu! Nous ne sommes plus séparés pour longtemps. »

Il disait vrai. Washington lui-même, dans une lettre du 25 septembre, écrivait à La Fayette : « Si vous avez conçu la pensée,