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IV.

Une reconnaissance, destinée à l’assurer des desseins de l’armée anglaise, faillit coûter cher à La Fayette. Il s’était porté le 18 mai jusqu’à Barren-Hill, avec deux mille hommes choisis. Le général Howe qu’on allait rappeler à Londres, Clinton qui le remplaçait, combinèrent si bien leurs mouvemens, que la capture de La Fayette parut certaine. Le commandant en chef avait déjà invité « les dames à souper avec le jeune Français. » L’amiral Howe, le frère du général, avait préparé une frégate pour conduire « le Roy, » comme on disait, en Angleterre. S’il n’avait, en effet, manœuvré mieux que les Anglais, la petite armée était perdue. On tira le canon d’alarme. Washington fut dans une inquiétude d’autant plus vive que les troupes confiées à La Fayette étaient une élite. Mais ce dernier prit son parti sur-le-champ : il fit de feintes attaques en montrant des têtes de colonne, et pendant que les généraux anglais s’arrêtaient pour le recevoir, il faisait filer son détachement par le gué de Matson. Il le passa en présence des ennemis et sans perdre un seul homme. Deux lignes ennemies se rencontrèrent et furent au moment de s’attaquer ; il n’y avait plus rien entre elles. Les Américains étaient déjà de l’autre côté du Schuylkill.

Cependant, le 17 juin, Philadelphie avait été évacuée et l’armée anglaise sur deux colonnes se dirigeait vers New-York. L’indigne conduite du général Lee avait compromis la journée de Monmouth. La Fayette, avec deux bataillons formés par Washington lui-même, arrêta l’ennemi. L’affaire, mal préparée, fut bien finie : jamais Washington n’avait été plus grand à la guerre que dans cette action. Sa présence avait fait cesser la retraite, et ses dispositions fixé la victoire. Lee, suspendu de ses fonctions par un conseil de guerre, quitta le service, et l’armée américaine marcha vers White-Plain, la seconde ligne, sous les ordres de La Fayette, formant la colonne de droite. On avait atteint Brunswick, après avoir célébré la fête de l’indépendance, le 4 juillet, lorsqu’on apprit l’arrivée de l’amiral d’Estaing et de l’escadre française devant New-York.

Une lettre de La Fayette au duc d’Aven du 11 septembre 1778, et un extrait de l’histoire du docteur Gordon et de celle de Ramsay, annexé aux Mémoires de ma main, rendent un compte détaillé de l’entrée de d’Estaing dans le Delaware et de l’expédition contre Rhode-Island. La Fayette y conduisit deux mille hommes de troupes continentales. Il fit cette route de 240 milles très lestement, et arriva avant que le reste de l’armée, aux ordres de Sullivan, fût prêt. Son