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« Faites mes complimens au docteur Franklin et à M. Deane. Je voulais leur écrire, mais le temps me manque. »

C’est ainsi que s’exprimait ce général de vingt ans, ayant de bonne heure le sentiment de la responsabilité et se conduisant avec autant de tact que de discernement au milieu des difficultés de toute nature.

Condamné à l’inaction pendant plus de six semaines, il écrivait tantôt au gouverneur de la Martinique pour lui proposer, sous pavillon américain, un coup de main sur les îles anglaises, tantôt à M. de Maurepas, pour lui exposer un projet d’entreprise plus considérable dans l’Inde. Le vieux ministre, par des considérations de prudence, n’adopta pas cette idée; mais il en fit publiquement l’éloge. « Il finira quelque jour, disait-il de La Fayette, par démeubler Versailles pour le service de sa cause américaine ; car lorsqu’il a mis quelque chose dans sa tête, il est impossible de lui résister. »

N’attendant pas que sa blessure fût fermée, La Fayette avait rejoint le quartier-général. C’est là qu’il apprit la capitulation de Burgoyne à Saratoga. Réduit à 5,000 hommes, n’ayant pu parvenir à forcer ni à tourner les troupes de Gates, Burgoyne voulut trop tard se retirer; ses communications n’étaient plus libres. La convention qu’il signa eut en Europe un immense retentissement et contribua à faire cesser les irrésolutions de Maurepas. La Fayette s’empressa de célébrer les mérites de Gates, mais il le blâma de s’être rendu ensuite indépendant de Washington et d’avoir retenu les troupes qu’il devait lui renvoyer.

Pour effacer le mauvais effet de la journée de Saratoga, Cornwallis s’était empressé de se porter avec 5,000 hommes dans les Jerseys. Le général Greene en nombre égal lui fut opposé, et La Fayette accompagna Greene. Détaché pour une reconnaissance, il rencontra les ennemis à Gloucester en face de Philadelphie. N’ayant que 350 hommes, la plupart miliciens, La Fayette attaqua brusquement un poste de 400 Hessois, Cornwallis accourut avec ses grenadiers : étant au milieu des bois, il crut avoir affaire au corps entier de Greene et se laissa repousser avec perte d’une soixantaine d’hommes. Ce petit succès de Gloucester plut à l’armée et surtout aux milices.

Le congrès vota : « Qu’il lui serait extrêmement agréable de voir le marquis de La Fayette à la tête d’une division. » Il quitta alors son état de volontaire et remplaça Stéphen dans le commandement des Virginiens[1].

Il fut obligé d’équiper ses soldats à ses frais. Jamais la situation

  1. Journal du congrès du 1er décembre 1777 et Mémoires de ma main, p. 35