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III.

Il descendit chez le major Huger, le père de celui qui devait si vaillamment se dévouer pour le sauver des prisons d’Olmütz.

Sa pensée va trouver Mme de La Fayette, et il lui écrit aussitôt ce billet tout pimpant :

« J’arrive, mon cher cœur, en très bonne santé, dans la maison d’un officier américain, et, par le plus grand bonheur du monde, un vaisseau français met à la voile; jugez comme j’en suis aise. Je vais ce soir à Charlestown. Je vous y écrirai. Il n’y a point de nouvelles intéressantes. La campagne est ouverte ; mais on ne se bat point, très peu du moins. Les manières de ce monde-ci sont simples, honnêtes et dignes en tout du pays où tout retentit du beau nom de liberté. Je comptais écrire à Mme d’Ayen. Mais c’est impossible. Adieu, adieu, mon cœur. — De Charlestown, je me rendrai par terre à Philadelphie et à l’armée. N’est-il pas vrai que vous m’aimerez toujours? »

La nouveauté de toutes choses autour de lui, la chambre même, le lit entouré de moustiquaires, les domestiques noirs qui venaient lui demander ses ordres, la beauté et l’aspect étrange de la campagne, qu’il voyait de ses fenêtres et que couvrait une riche végétation, tout se réunissait pour produire sur La Fayette un effet magique et pour éveiller en lui des sensations inexprimables.

Jamais il ne fut un désillusionné, et, du commencement à la fin de sa vie, il resta profondément attaché à l’Amérique. A son arrivée, beaucoup d’aventuriers voulurent en vain se lier avec lui et lui inspirer leurs préventions. Sa parfaite droiture le garantit de toute intrigue. Son objectif était d’être admis le plus tôt possible, comme officier, par le congrès et d’être reçu par Washington.

Après s’être procuré des chevaux, il partit avec six officiers pour Philadelphie. Il fit ainsi près de neuf cents milles.

Les circonstances dans lesquelles se présentait La Fayette étaient peu favorables aux étrangers. Dégoûtés par la conduite de plusieurs aventuriers français, les Américains étaient révoltés des prétentions des impudens. La honte des premiers choix, les jalousies de l’armée, les préjugés nationaux, « tout servait à confondre le