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était capitaine des gardes du corps. Le marquis et la marquise de La Fayette furent chaque semaine du bal de la reine. Il ne semble pas que ce grand monde ait plu à La Fayette. Ses fragmens de Mémoires sont, sur ce point, très sobres de détails. Il était silencieux, « parce qu’il n’entendait guère de choses qui lui parussent mériter d’être dites[1]. » C’était le résultat d’un amour-propre déguisé et d’un penchant observateur. Il constate du reste le jugement défavorable que cette attitude lui attirait et qui était accru par la gaucherie de ses manières, « qui, sans être déplacées dans les grandes circonstances, ne se plièrent jamais aux grâces de la cour, ni aux agrémens d’un souper de la capitale. »

Les mémoires du temps complètent cette confession très sincère. Le jeune comte de Ségur, qui avait épousé une sœur d’un second lit de la duchesse d’Ayen et qui vivait dans l’intimité de son neveu, dit a qu’à dix-huit ans, La Fayette avait un maintien grave, froid et qui annonçait très faussement de l’embarras et de la timidité. Ce froid extérieur et ce peu d’empressement à parler faisaient un singulier contraste avec la pétulance, la légèreté et la loquacité brillante des personnes de son âge ; mais cette enveloppe, si froide aux regards, cachait l’esprit le plus actif, le caractère le plus ferme et l’âme la plus brûlante. » Le comte de Ségur avait été mieux que personne à portée de l’apprécier. A peine adolescent, La Fayette avait été amoureux. Il avait cru mal à propos que Ségur était son rival, et, malgré son amitié, dans un accès de jalousie, il avait passé presque toute une nuit chez son ami pour lui persuader de disputer, l’épée à la main, le cœur de la belle[2].

Cependant, un souffle novateur se faisait sentir même dans les fantaisies. En attendant les batailles d’idées, la cour assistait à une querelle entre les jeunes et les vieux courtisans relativement à la mode. Les costumes paraissaient surannés à la nouvelle génération de gentilshommes. Le comte de Provence et le comte d’Artois avaient levé l’étendard de la révolte[3]. Le triomphe fut d’abord dans le camp des novateurs. Ils eurent un brillant succès; mais il ne dépassa pas la durée d’un carnaval. Dès qu’il fut fini, les vieux usages reprirent leur puissance ; et les jeunes beaux, y compris La Fayette, allèrent oublier dans leurs garnisons respectives leurs rêves trop courts de paladins.

Cet essai d’innovation avait commencé fort gaîment par des parties de plaisir et des ballets. Une société de jeunes gens et de jeunes dames s’était formée. La Fayette et sa femme y figuraient avec

  1. Mémoires, t. Ier, p. 7.
  2. Mémoires de Ségur, t. Ier.
  3. Voir Ségur, Mémoires, t. Ier, et Correspondance de La Fayette, t. Ier, p. 96. — Voir La Marck, introduction, t. Ier.