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pas. Elle en distinguait la source et y trouvait des motifs de consolation. Elle crut devoir différer la première communion d’Adrienne jusqu’à l’époque où elle serait calmée et raffermie.

C’est vers ce temps qu’elle reçut des propositions de mariage pour ses deux filles aînées. L’union de Louise et de son cousin le vicomte de Noailles fut rapidement résolue; mais il n’en fut pas de même du mariage d’Adrienne avec le marquis de La Fayette. La future avait à peine douze ans et le futur quatorze. Nous lisons dans la Vie de la duchesse d’Ayen que l’extrême jeunesse de M. de La Fayette, l’isolement où il se trouvait, n’ayant aucun guide qui pût avoir sa confiance, une grande fortune et tout acquise, ce que Mme d’Ayen regardait comme un danger de plus, toutes ces considérations la décidèrent d’abord à le refuser, malgré la bonne opinion qui était donnée de sa personne. Ce refus persista pendant une année ; le consentement était au contraire vivement désiré par le duc d’Ayen. La froideur qui existait entre les deux époux s’en accrut. Enfin, rassurée par la certitude que sa fille ne la quitterait pas pendant les premières années, et sur la promesse de différer le mariage jusqu’au moment où l’éducation de M. de La Fayette serait achevée, elle consentit. « Elle accepta, dit sa fille, celui que depuis elle a toujours chéri comme le fils le plus tendrement aimé, celui dont elle a senti le prix dès le premier moment qu’elle l’a connu, celui qui seul, de tous les appuis humains, pouvait soutenir les forces de mon cœur après l’avoir perdue. Son consentement la raccommoda avec mon père, qui, pendant quelque temps, avait été réellement brouillé avec elle[1]. » L’attrait avait devancé, chez Adrienne d’Ayen, ce sentiment si profond qui l’unit à La Fayette d’une manière encore plus étroite et plus tendre, au milieu de toutes les vicissitudes de la vie la plus agitée qui fut jamais, au milieu des alternatives de joies et de douleurs qui devaient la remplir pendant plus de trente années.

Le mariage se célébra le 11 avril 1774. La petite femme avait quatorze ans et demi; le jeune mari n’en avait pas dix-sept. Quelques voyages, comme capitaine, à Metz, où le régiment de Noailles tenait garnison, et dont le colonel était le prince de Poix, fils du maréchal de Mouchy, occupèrent une partie de l’été de 1774. La Fayette revint du régiment au mois de septembre, et, grande nouveauté en ce temps-là, il résolut de se faire inoculer. On loua à cet effet une maison à Chaillot, et le jeune ménage s’y enferma avec la duchesse d’Ayen, qui voulut donner à son gendre tous les soins que sa vigilance et sa tendresse savaient multiplier. L’hiver suivant, elle présenta les jeunes époux à la cour. Le duc d’Ayen

  1. Vie de Mme la duchesse d’Ayen, par Mme de La Fayette.