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de sa ruine, but final de la persécution, avait commencé pendant le procès, malgré la vigilance des administrateurs pontificaux[1]. L’appétit des rois avait été aiguisé, dès 1307, au point que quelques-uns songèrent à faire partager le sort des templiers aux hospitaliers et aux chevaliers porte-glaives. L’ordre teutonique fut accusé d’hérésie en 1307 par l’archevêque de Riga. C’était déjà l’avidité spoliatrice des princes protecteurs de la réforme du XVIe siècle. Après le concile de Vienne, on procéda au dépècement méthodique de la proie, non sans garder les apparences. En théorie, toutes les propriétés de l’ordre furent transférées au saint-siège, qui les remit aux hospitaliers, mais ce transfert fictif n’empêcha pas Philippe le Bel de retenir la meilleure part. A partir de 1307, les embarras financiers de Philippe avaient visiblement diminué; ses dettes envers l’ordre avaient été éteintes, car les canons défendent de payer leur dû aux hérétiques ; il avait saisi tout le numéraire accumulé dans les banques du Temple, dont il ne rendit jamais compte ; et le trésor du Temple de Paris avait été transformé en caisse royale, sans qu’il eût été procédé à la liquidation des opérations engagées sous l’administration des derniers comptables du Temple. C’est comme si l’État s’emparait du capital de la Banque de France, de son portefeuille, et annulait d’un trait de plume ses dettes envers elle. Philippe le Bel alla plus loin encore, lorsque les dépouilles du Temple eurent été officiellement attribuées à l’Hôpital. Il prétendit que, ses anciens comptes de banque avec le Temple n’ayant pas été réglés, il restait créancier de l’ordre pour des sommes considérables, d’ailleurs indéterminées, car il avouait qu’il ne possédait à l’appui de son dire aucune écriture authentique : les écritures authentiques des trésoriers conventuels, c’était lui-même qui les avait fait supprimer dès la première heure pour anéantir jusqu’à la trace, non pas de ses créances, mais de ses dettes. Les hospitaliers substitués aux droits et aux charges du Temple furent obligés de consentir à une transaction ; ils payèrent une soulte de 200,000 livres tournois le 21 mars 1313, et ce sacrifice ne les délivra même pas des exigences de la couronne ; ils plaidaient encore à ce sujet devant le parlement sous le règne de Philippe le Long. — Quant aux biens immobiliers, Philippe le Bel les garda sous sa main jusqu’à sa mort, en perçut paisiblement les revenus[2]; et les hospitaliers, pour en obtenir la délivrance, durent

  1. Dans une dépêche, envoyée d’Avignon au roi de France le 24 décembre 1309 par ses envoyés secrets, on lit : « Au sujet de l’administration des biens du Temple dans votre royaume, le pape a déclaré savoir qu’ils se perdaient et étaient dissipés, ainsi qu’il l’avait bien prévu lorsqu’il était à Poitiers. »
  2. Philippe mit aux enchères la ferme des domaines du Temple; les prix de fermage furent si élevés que la plupart des fermiers, qui avaient espéré faire fortune, se ruinèrent. Le roi fit saisir leurs biens.