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Dans cette bulle Vox in excelso, le pape avoue qu’il n’existe point contre l’ordre de preuves suffisantes pour justifier sa condamnation canonique ; mais il considère que l’ordre n’en est pas moins déshonoré, que ses biens sont et seraient de plus en plus dilapidés au grand dommage de la terre-sainte pendant la durée d’un procès dont on ne pourrait plus prévoir la fin ; de là la nécessité d’une solution provisoire. Le pape n’a pas le droit de juger définitivement et de se substituer au concile ; mais, comme Guillaume le Maire l’avait conseillé, il peut juger par voie de provision. Il supprime donc l’ordre du Temple, en fait, et renvoie la solution de la question de droit à un concile mieux informé, qui ne devait jamais se réunir.

Ainsi périt l’ordre du Temple, supprimé, non condamné, égorgé injustement, sans résistance. Injustement, cela n’est pas pour étonner ceux qui ont étudié la politique : malheur à qui gêne l’homme puissant. Sans résistance, cela s’explique moins aisément. Les templiers ont reçu la mort avec douceur ; ils n’ont pas eu le courage actif de la résistance ouverte ; les meilleurs d’entre ces soldats n’ont eu qu’un héroïsme passif de victimes. Mais cette attitude pacifique ne les décharge-t-elle pas justement de la suprême accusation que l’histoire a portée contre eux : celle d’avoir été un état dans l’état, celle d’avoir mis en péril l’unité et la sécurité de la monarchie française ? — Les templiers n’ont tiré l’épée qu’en Allemagne et en Aragon, et là, ils n’ont rien perdu, ni la vie, ni l’honneur. Hugo de Salm, rhingrave et commandeur de Grumbach, força la porte du synode de Mayence avec vingt chevaliers cuirassés : il parla haut, s’en alla libre et fut acquitté. Si les templiers de France s’étaient ainsi protégés eux-mêmes, en octobre 1307, contre les sergens du roi, ils auraient succombé sans doute, mais ils seraient morts au soleil, au lieu d’être enfumés ou de pourrir en prison. Qu’à aucun moment du procès les templiers de France n’aient eu la moindre velléité de se servir contre l’Église de leurs armes bénites par l’Église, malgré l’asservissement de l’Église aux passions d’un prince temporel, c’est, je crois, la preuve la plus manifeste de leur innocence et de leur soumission, pour ne pas dire de leur faiblesse.


V.

La bulle Vox in excelso régla les destinées de l’ordre, mais elle laissa en suspens deux grandes questions difficiles à liquider : le sort des templiers prisonniers ; le sort des biens du Temple supprimé.

La curée des biens immenses de l’ordre du Temple, cause directe