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Il est inutile de rechercher dans l’histoire des relations de Philippe le Bel avec les templiers, pendant la première partie de son règne, les traces ou les symptômes de sentimens d’hostilité qui se révélèrent brusquement par le guet-apens de 1307. Au contraire, Philippe récompensa le Temple de l’appui moral qu’il lui prêta pendant le différend avec Boniface VIII, par de belles lettres de protection ou de privilèges, écrites en 1303 et en 1304. Nous savons que le roi, en 1305, avait toujours une partie de son trésor au Temple de Paris. On raconte, il est vrai, qu’une sédition s’étant élevée à Paris, en 1306, à l’occasion du taux des loyers, les mutins « foulons et tisserans, terrassiers et plusieurs autres ouvriers d’autres métiers, » assiégèrent la forteresse du Temple « où le roi de France était alors avec quelques-uns de ses barons. » La légende s’est emparée de ce fait divers. « Les templiers, dit Mézeray, furent notés pour avoir contribué à cette sédition ; » d’autres historiens disent que le roi, « humilié d’avoir eu à se mettre sous la protection des templiers dans sa capitale, et mis à même, pendant son séjour derrière les murs du Temple, de juger des richesses et de la puissance des chevaliers, » médita dès lors leur perte. Mais l’incident de 1306 eut certainement moins d’effet sur l’esprit d’un prince qui connaissait les ressources du Temple pour y avoir, hôte volontaire, séjourné longuement plus d’une fois que l’état de son compte à la banque de l’ordre. La balance de ce compte penchait alors lourdement en faveur des chevaliers.

Philippe le Bel et son entourage formèrent des projets plus ou moins vagues pour la réforme ou la suppression de l’ordre du Temple, à partir de 1305 au plus tard. En effet, lorsque Clément V fut couronné à Lyon, le 14 novembre 1305, le roi, qui voulut assister à la cérémonie, fit des ouvertures au nouveau pape, au sujet des templiers. L’aide du saint-siège lui était indispensable pour abattre l’ordre, et ce fut un merveilleux atout dans son jeu que l’avènement d’un homme sans courage, d’un pape servile comme Clément. Pendant toute l’année 1306, il y eut entre la cour de France et la curie pontificale un échange de correspondances secrètes, qui n’ont pas laissé de traces et qui n’aboutirent pas. Mais les idées du roi se précisèrent dans l’intervalle : il sollicita de Clément une entrevue soit à Tours, soit à Poitiers pour le printemps de 1307. Le grand maître du Temple, Jacques de Molay, venait d’arriver d’Orient en France, avec une « retenue » de soixante chevaliers, appelé par le pape, en même temps que le maître des hospitaliers, pour l’éclairer sur la situation de la terre-sainte. Son arrivée avait soulevé d’absurdes commentaires : on disait que les templiers renonçaient à l’œuvre d’outre-mer, que le grand-maître allait établir son quartier-général