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tard, s’il se peut, en perpétuelle emphytéose. On aura ainsi plus de 800,000 livres tournois par an, qui serviront à acheter des navires, des vivres et des équipemens, de façon que les plus pauvres pourront aller outre-mer. Les prieurés et commanderies d’Europe seront utilisés : on y installera des écoles pour les garçons et les filles adoptés par l’œuvre des croisades, où les arts mécaniques, la médecine, l’astronomie et les langues orientales seront simultanément enseignés. » Ce plan se réduit, comme on voit, à deux propositions essentielles : se débarrasser, en Europe, des personnes des templiers, et confisquer leurs biens. Voilà sans doute une réforme telle qu’aurait pu en souhaiter un prince dont le compte, au trésor du Temple, se serait soldé par un passif considérable ! Ces projets du pamphlétaire sont symptomatiques ; ils montrent qu’au moment où l’on était disposé à tout croire, Philippe le Bel, sans argent, était décidé à tout oser.


II.

« Le roi Philippe, dit Guillaume de Nogaret, est religieux, fervent champion de la foi, vigoureux défenseur de sainte mère Église, bâtisseur de basiliques, comme ses ancêtres. Il est chaste, humble, modeste de visage et de langue. Jamais il ne se met en colère ; plein de grâce, de charité, de piété, il n’a de haine pour personne. Très beau, il est agréable à tous, même à ses ennemis quand ils sont en sa puissance… Dieu fait aux malades des miracles évidens par ses mains. » Ce portrait idyllique d’un des tyrans les plus rudes qui furent jamais est peut-être ressemblant : il y a de ces âmes douces, décidées et impitoyables. Philippe n’en est pas moins resté, à bon droit, dans la tradition, sous la figure d’un bourreau. Dante l’a marqué, en deux strophes vengeresses et symétriques, comme celui qui abreuva Boniface VIII de dérisions, de vinaigre et de fiel, et comme celui qui renouvela contre l’ordre du Temple les cruautés de Pilate :


Veggio in Alagna entrar lo flordaliso
E nel vicario suo Cristo esser catto.
Veggio il nuovo Pilato si crudele
Che cio nol sazia, ma senza decreto
Porta nel Tempio le cupide vele…


Ces deux épisodes accablans pour la mémoire de Philippe : le procès de Boniface VIII, le procès de l’ordre du Temple, accusent en effet les mêmes tendances ; on y reconnaît les mêmes procédés de tactique. L’histoire de la lutte de Philippe le Bel contre le pape