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produit des contributions publiques. L’ordre fournit des ministres des finances à Jaime Ier, roi d’Aragon; à Charles Ier, roi de Naples. Thierri Galeran, qui fut le principal conseiller de Louis VII pendant trente années, mourut sous le manteau blanc des templiers. Enfin, pendant plus d’un siècle, depuis Philippe-Auguste jusqu’à Philippe le Bel, le trésor du Temple de Paris fut le centre de l’administration des finances de la royauté française. Quand Philippe-Auguste partit pour la Palestine, il ordonna que l’argent perçu pour lui pendant son absence serait porté au Temple et enfermé dans des coffres à plusieurs clés, dont l’une serait gardée par les chevaliers et l’autre par les régens. Sous les règnes de saint Louis et de Philippe le Hardi, ce fut le trésor du Temple qui fournit la majeure partie des fonds nécessaires à l’entretien de l’hôtel royal. Il y avait donc entre la couronne et l’ordre, à l’avènement de Philippe le Bel, des relations d’intérêt très intimes et tout à fait publiques. Un compte de la Chandeleur 1288 prouve qu’à cette date la gestion des finances royales était encore presque entièrement entre les mains des chevaliers, qui fournissaient aux baillis du roi de quoi faire face aux dépenses locales, encaissaient les produits des tailles, acquittaient beaucoup de rentes et de gages dont le budget était grevé, avançaient de l’argent au roi et remboursaient les emprunts faits par lui, soit aux banquiers italiens, soit à ses propres sujets.

Un ordre pauvre de soldats dévots et grossiers n’avait guère pu se transformer en une république magnifique, riche en terres, riche en privilèges, enrichie encore par le commerce des métaux précieux et par le crédit, toute-puissante à Rome, créancière des rois, sans que, d’une part, l’austère simplicité de son premier âge ne se corrompît en quelque mesure, et sans que, d’autre part, la malveillance de toutes les classes de la société ne se soulevât contre une prospérité plus insolente que dangereuse, mais dont beaucoup de gens avaient à souffrir. L’ordre, en apparence si fort à la fin du siècle de saint Louis, avait des ennemis et il avait des vices, qui le minaient silencieusement.

Le principal grief que les grands de la terre et le peuple avaient contre les chevaliers du Temple, c’était leur avidité. Le peuple a détesté de tout temps les « féodalités financières, » les fortunes hautaines et bien administrées, en voie de perpétuel accroissement. « A quoi sert, disait le prédicateur Humbert de Romans en parlant des templiers, à quoi sert de s’emparer d’une quantité de terres et de châteaux à l’homme vaincu par son propre cœur? » Les pauvres gens, à qui les portiers des maisons du Temple refusaient brutalement un morceau de pain se plaignaient de cette dureté pareille à celle du riche de l’Évangile : « On ne faisait pas les aumônes,