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préside. On y inculque aux élèves la prudence de serpent, qui est la première vertu du médecin légiste; on leur montre tous les écueils, toutes les responsabilités du métier; en les mettant en garde contre les entraînemens d’une affirmation risquée ou d’une hypothèse séduisante, on leur apprend à calculer chaque mot, à peser chaque terme d’un rapport judiciaire. On leur fait entrevoir l’avocat, ce redoutable adversaire, prêt à profiter de la plus petite faute, de la moindre maladresse pour entrer dans la place, c’est-à-dire dans l’œuvre du médecin-légiste pour la démolir aux yeux du jury. La partie est d’autant plus inégale, que la défense peut dire ce qu’elle veut (et soit dit en passant, c’est un droit dont elle abuse quelquefois), tandis qu’emprisonné par son serment, l’expert ne doit dire que la vérité, rien que la vérité. Vis-à-vis d’un adversaire décidé à tout, souvent fort habile, qui possède à fond l’art des questions insidieuses et troublantes, il faut être bien sûr de soi et retourner dix fois sa langue dans sa bouche pour se tirer de l’épreuve avec honneur.

L’institution des conférences a rencontré au début de sérieuses difficultés. Une première tentative faite par Devergie en 1832 avait échoué au bout de deux ans. On comprend, en effet, ce qu’il y a d’étrange dans le fait d’un expert astreint au secret le plus absolu et qui fait l’expertise, à lui confiée, devant une centaine d’assistans qui ne sont tenus au silence que par une sorte d’engagement tacite et très vague. Le parquet redoutait l’innovation ; il faut dire à l’honneur du public des cours que depuis dix ans aucune indiscrétion quelconque n’est venue justifier les craintes des magistrats. N’ont-ils pas eux-mêmes, comme le disait un jour M. Brouardel, le plus grand intérêt à ce que les autopsies judiciaires se fassent devant des témoins qui sont autant de garans du soin et de la méthode qu’y apportent les médecins légistes? Le magistrat a d’ailleurs toujours la faculté de réserver certaines expertises lorsqu’il a des raisons particulières de tenir à ce qu’elles restent secrètes. Une centaine d’autopsies sur trois cents se font devant les élèves; les autres se font en dehors de l’heure des cours. En 1888, 158 adultes, 129 fœtus et nouveau-nés et 7 débris humains ont passé dans l’année sur la table de l’amphithéâtre. On voit que, si le greffe a fort à faire, la médecine légale ne chôme pas non plus à la Morgue.

Que deviennent ces restes encombrans? Comment la Morgue, qui se remplit comme nous l’avons dit, se débarrasse-t-elle de tous ces cadavres qu’elle a abrités pendant un temps variable ?

La moitié à peu près est réclamée par les familles et inhumée par leurs soins et à leurs frais ; l’autre moitié reste sur les bras de