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« Respect, dit un hymne, aux chiens et aux seigneurs des chiens ; respect aux chevaux et aux seigneurs des chevaux. » Même culte pour certains arbres, pour certaines fleurs, pour les pierres noires, pour les pierres rondes, pour les pierres à repasser, pour les rasoirs, les charrues, les soufflets, les ciseaux. On peut affirmer qu’il n’y a point d’être dans le monde animal, d’objet végétal ou minéral qui ne soit divin dans l’une ou l’autre partie de l’Inde. Au milieu de ces folies, des intuitions, des percées profondes sur la divinité de la nature, sur l’unité foncière de toutes ses manifestations. — « Vénération, chante l’Hindou, respect au mâle infini et éternel, à Purusha qui a des milliers de noms, des milliers de formes, des milliers de pieds, des milliers d’yeux, des milliers de têtes, des milliers de cuisses, des milliers de bras, et qui vit pendant dix mille millions d’années. »

Notre Hindou a une morale. Une voix intérieure lui dicte certaines actions dont l’accomplissement est un mérite, dont l’omission appelle un châtiment. Nul rapport entre son code et le nôtre. Toute société repose sur un certain nombre de sentimens communs à tous ses membres et qui enraient ou dirigent les instincts égoïstes par lesquels l’individu tendrait à se développer démesurément aux dépens de ses voisins et de la vie harmonieuse de tout le groupe. Certainement ces sentimens sont très variables et selon qu’ils varient, la forme, la structure, la puissance, le degré de cohésion de la société varient. Ils peuvent être très simples comme dans les cités antiques, ils peuvent être très complexes comme dans nos sociétés modernes où lentement, à travers les siècles, des circonstances très diverses ont superposé aux instincts anciens des sentimens délicats et nombreux. Mais, simples ou compliqués, ils sont une condition d’existence de toute société. — Chez l’Hindou, la morale semble avoir une origine et un caractère différens. Elle n’est pas un code de devoirs envers autrui, mais seulement une série de prescriptions qui règlent sa vie extérieure, ses gestes, sa nourriture, son costume. Imaginez qu’au moyen âge aient disparu l’instinct social qui défendait à l’homme de trahir, de mentir, de voler, de tuer, de ravir les femmes, et aussi l’honneur qui lui commandait de se battre hardiment, de protéger son vassal, de suivre son suzerain, de ne pas abandonner son compagnon, de se dévouer pour la bande dans laquelle il était enrôlé, d’adhérer à sa parole, de maintenir haut sa bonne réputation. Supprimez encore la partie de la morale religieuse, qui ne fait que consacrer certains sentimens dont l’origine se rencontre dans un état social antérieur, et ne gardez que les pratiques commandées par l’Église, aller à la messe, communier à Pâques, se confesser, jeûner, observer le Carême, faire baptiser ses enfans, oindre le mourant,